Vampire. Immortelle. Éternelle. Des notions qui sont abstraites maintenant après la perte du pilier central de mon monde entier. Le monde tournait, changeait et pourtant je ne voyais plus véritablement ce qui se passait autour de moi. Mon esprit avait perdu un des repères cartésiens qui a occupé ma vie pendant plus de deux siècles et le fait est que je ne le vis guère bien.
Perdre ma mère n'est pas facile.
Le fait est que la colère est une des pires conseillères dans ce monde et même si un an s'est écoulé depuis que les lycans d'Espagne se sont révoltés et ont détruit le repaire de notre mère, Evelyne ne m'a encore libérée. Et je ne peux guère dire que c'est autre chose qu'une captivité qui est mienne alors que la dernière année a été faite de séjours dans les cages de la demeure sangui-hère et que je ne sais plus ce qui est réel. La vérité est que la rage est ma compagne, celle qui me garde au chaud et chasse le mieux mes larmes. La rage me pousse à apprendre tout ce que l'on me montre afin de pouvoir devenir une tueuse.
Guerrière? Non. Mère avait toujours voulue une fille parfaite et douce, contraire à mon aînée et je l'avais fait. J'ai passé ma vie entière à faire ce que mère souhaitait sans questionner dans un espoir d'être reconnue comme sa fille et non pas son projet caché... La preuve qu'elle était capable d'amour. J'étais dans la salle d'entraînement ce jour et les gens savaient fort bien que je n'étais d'une humeur que l'on pourrait m'entraîner en combat, les gens conscient de combien mon esprit, parfois, est sur le point de craquer. Oh, je demeure certes moi-même mais la violence dont je suis capable est... explosive et ne se solde souvent que par mes échecs violents lorsqu'on m'arrête en dépit de moi.
Portant un shorty sport et un soutif tout aussi sportif, mes cheveux remontés pour ne me tomber dans le visage, je venais de faire mon sixième circuit des différentes machines avant d'aller aux sacs lestés pour qu'un vampire ne les défonce... J'ai appris à savoir fermer mes poings de sorte de ne rien me casser et des pansements autour de mes jointures sont là pour éviter les pires dégats mais le fait est que même un vampire peut s'éclater quelque chose à force de frapper dans une surface rigide sans technique mais avec une persistance démente.
J'avais presque envie de sauter sur ce sac et m'accrocher en hurlant et le déchirer de mes dents, mes yeux d'un rubis profond qui dément un manque de sang à l'heure actuelle.
Quand elle avait perdu Rosemary, Mercedes avait été plus que présente pour elle. Plus qu’un devoir de sœur, un retour d’ascenseur en prime… Toutefois, le décès de Carmen fut difficile pour les deux sœurs. Si la charmante Carmelia ne lui manquait pas, la douceur de sa chère mère lui manquerait et Evelyne se maudissait de ne pas avoir cherché à la rencontrer plus tôt dans sa vie d’immortel. Pour sa sœur toutefois, ce fut un deuil des plus complexes à réaliser. Coincée dans son propre désarroi, la Russe n’avait pas toujours eu la patience nécessaire pour être à l’écoute, compréhensive et encore moins empathique… Alors qu’avait-elle fait? Enfermer la vampiresse à l’occasion, pour sa propre sécurité. Oui, cela avait été une nécessité vu la folie régnant dans le regard noisette, mais Mère aurait fortement conseillé d’autres méthodes. La vérité par contre était qu’Evelyne non plus n’avait pas été préparée à ce départ. Sans vouloir l’admettre initialement, elle aurait eu tant d’éléments à apprendre encore, tant d’interrogation, de questionnement… Mais du haut de son insolente sagesse, elle avait jugé bon de ne pas demander conseil et voilà qu’il était trop tard. Le regret, la culpabilité… Elle n’en serait jamais débarrassée et voilà qu’encore une fois, les sentiments revenaient à la charge, alors qu’elle observait Mercedes jeté toute sa haine sur un misérable sac d’entraînement.
Impuissante… Que devait-elle donc faire pour soulager sa sœur de sa souffrance? La laisser rejoindre les lycans pour se faire tuer en Espagne? Non, impossible. Mère du haut des cieux lui jetterait un éclair sur la tête si elle agissait ce sens. Elle attendait quelques instants, le temps que quelques vampires quittent la salle d’entraînement pour être seules avec cette dernière. Ne sachant trop comment commencer la conversation avec cette nouvelle Mercedes, bien plus agressive et moins raisonnable, la Russe lui décrochait alors un sourire amusé, alors qu’elle soufflait,
-Tu essaies de faire un trou dans le sac? À frapper de la sorte, tu risques de te blesser avant d’y parvenir.
Affrontant son regard, la blonde soupirait alors doucement en croisant les bras sur sa poitrine. La brune devait encore lui en vouloir pour certains des traitements qu’elle lui avait administrés. Ou peut-être parce qu’elle arrivait à bien mieux gérer son propre deuil que le sien? Evelyne avait perdu de nombreuses personnes au gré des années et une fois sa crise exécutée, elle avait su retrouver son calme. Oubliait-elle les lycans? Non, elle les surveillait de loin. Elle attendait simplement le bon moment pour frapper, préparant froidement sa vengeance. Avec un certain calme, le bras droit inclinait alors la tête sur le côté en soufflant d’un ton presque innocent,
-Tu vas m’ignorer encore longtemps? D’accord… Je suis désolée d’avoir eu à t’enfermer de nouveau, je n’y ai pris aucun plaisir… Je reprends… Je suis désolée d’avoir besoin d’utiliser des moyens aussi radicaux pour te garder en vie. Mère me demanderait d’en faire autant si elle était encore parmi nous.
Le feu et la glace, l'hiver et le printemps, bien des choses me séparent de celle qui est ma famille par le sang mais d'un monde de différence. Là où Evelyne est une glace, je suis une flamme vive mais c'est aussi là le danger. Je peux aisément brûler et ne rien laisser derrière moi que des cendres alors que ma soeur, elle, saura tout gérer avec un froid bien Russe. Je continuais de me meurtrir avec une violence qui ferait froncer les sourcils quiconque s'y connait le moindrement en deuil, mes jointures, sous le pansement, mettaient à mal même ma propre capacité de guérison tant je me faisais mal mais au moins ainsi ma tête était-elle un peu plus calme.
Est-ce que cette furie était au point de ne remarquer la salle se vidant petit à petit? Non. Je voyais très bien les gens défiler doucement, tout comme je sentais le regard sur ma nuque d'une personne qui avait une analyse de mon état, ma situation. Les coups vont ralentir, les pansements autour de mes jointures poisseux mais je n'en ai cure, mon souffle rapide alors que je pose la tête contre le sac. Le reproche tombe, comme il le fait toujours et ma colère flambe de nouveau mais je ne vais même lui gracier une réponse cette fois. Elle semble si froide, si rationnelle et calme que je sens la fureur de nouveau et je l'embrasse. La rage est une compagne bien constante dans cette vie alors que la blonde s'excuse. Voilà qui est nouveau mais elle ne se mérite pas encore que je daigne me retourner.
"ce qu'elle a fait"? Elle considère que c'était pour le mieux de m'enfermer comme un animal alors que la douleur me rendait petit à petit folle? Elle considère mieux savoir que moi ce qui devrait être fait? Elle est ma doyenne mais de moins de cinquante ans et la voilà, grande moralisatrice mais elle dit quelque chose de trop. Arrogante enfant de...
Ma réaction est explosive, violente alors que je me tourne en un coup de vent et mon poing sera envoyé pour le visage de ma soeur. Je ne suis en rien aussi forte qu'elle et, dans ma rage, j'ignore entièrement le fait que si celle-ci avait souhaitée éviter, elle l'aurait fait. Mais elle n'en fait rien alors que je frappe sa machoire d'un poing saccagé et la vampire ancienne ne tombe pas, encaissant ce coup avant que je ne daigne enfin lui parler dans un espagnol bien différent de ce que la blonde me connait. Un espagnol ancien mais aussi très vulgaire, loin du raffinement de l'espagnol de notre mère. Je tombais de loin et retournais vers les souches.
«Ne me parle comme si tu savais quoi que ce soit qu'Elle aurait voulue, puta. Ne parle pas comme si tu savais quoi que ce soit, toi qui tremblait encore de peur face à sa colère. Ne me parle pas comme si tu savais ce que c'est!»
La rage bouillait et j'avance comme pour l'empoigner mais je me reprends. Raison? Folie? Mes yeux montrent clairement que je penche pour le second et non pas le premier, rubis profond...
«Ils sont encore vivant, puta. Ils vivent alors que notre mère est morte et tu m'arrêtes d'aller faire justice. Je vais brûler cette ville et danser dans ses cendres!»
Et mon poing part de nouveau, déterminée de l'enfoncer dans le ventre de la blondasse.
Le coup de poing envoyé était prévisible… Directe… Et c’est pour cette raison que la blonde ne prenait même pas la peine de l’esquiver. Sa sœur était dans cet état depuis des semaines, alors il avait été facile pour la Russe de prévoir le tout. Le seul élément qu’elle altérait un minimum, était qu’elle plaçait sa tête dans un angle qui ne lui créerait aucune blessure en l’encaissant. Contractant les muscles au moment de l’impact, pour lui épargner une déchirure musculaire ou un torticolis. Pourquoi ne pas l’avoir attrapé pour lui broyer la main plutôt? Tout simplement, parce que la violence n’amenait que la violence en retour. Non, sa sœur avait besoin de l’amour de Carmen, cet élan si maternel, tendre et doux… Mais elle n’était pas Carmen et elle ne le serait jamais. Tout comme elle ne savait pas comment se montrer à la hauteur de la douceur de l’ancienne vampiresse. Alors que le sang sur le poing de sa sœur tachait son menton, l’assassine grimaçait tout de même de l’impacte et se contentait alors de poser un regard des plus calme sur l’hispanique. Non. Elle ne l’a frapperait pas en retour. Et c’est donc avec ce calme des plus froid et maîtrisé qu’elle écoutait la vulgarité de sa sœur. Puis répondait dans un Espagnole dans lequel régnait encore un accent Russe.
-Comme si je ne savais pas ce que c’est, que de perdre un être cher?
La blonde avait perdu son lot de personne proche au gré des années. Autant en termes d’amitié, que de couple… Elle avait simplement appris à vivre ses deuils beaucoup plus rapidement que sa sœur, à force de souffrir… Était-elle une martyre? Aucunement et elle ne voulait jamais être vu ainsi. Elle s’était reprise en main chaque fois et lors de la mort de Carmen… Elle-même avait sombré quelque temps. Mais voilà que les fruits des enseignements des années avaient payé et elle avait fini par accepter la mort de Carmen. Serait-elle vengée? Évidemment. Mais c’est cette forme de sagesse qui lui avait permis de ne pas prendre le premier avion vers l’Espagne pour la venger. Affrontant sans difficulté le regard de la brune, la Russe la laissait terminer, avant de répondre face à toute cette haine,
-Oui, ils sont encore en vie. Oui, notre mère est morte. Mais tu ne sembles pas avoir appris la première chose qu’elle nous a enseignée, Suka… Réfléchir… Lorsque tu te seras calmé, lorsque nous aurons un plan concret et réaliste… Nous prendrons un vol pour l’Espagne et ferons le nécessaire. Brûle Valencia si tu le désires. Danse sur ces cendres si cela te plaît. Mais tu ne toucheras pas à Los Angeles. C’est compris, Suka?
Autant de provocation que sa sœur? Ouais… Evelyne n’était décidément pas faite pour prendre le relais sur les interventions de Carmen. Elle était beaucoup moins habile, plus prompte à répliquer et moins dans la communication empathique… Raison pour laquelle, la Russe se préparait cette fois à attraper sa sœur si elle désirait la frapper, question de la maîtriser.
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