BLAM BLAM BLAM BLAM BLAM BLAM

La cible en carton tressauta alors que les balles perforait la surface blanche. Une silhouette, censée ressembler à une forme humaine, trônait quasiment intacte au milieu d'un tas de trous, plus ou moins loin d'elle. Noïd lâcha un soupir, et tendit l'arme de poing qu'il tenait au type quo le regardait d'un air sévère.

- « Six tirs, un seul dans la cible. Pas terrible, monsieur Park.

- Si vous vouliez que je fasse un carton, ça aurait été moins con de faire la séance à un autre moment qu'après une formation qui a duré toute la nuit. »

Le formateur, un petit brun à lunette un peu guindé, eut un petit rictus hautain qui donna à Noïd l'envie de lui en coller une. Après une nuit sans dormir, fallait pas trop lui en demander. Qui était le con qui s'était dit qu'une formation sur la sécurité nocturne était une bonne idée ?

- « C'était le but. Dans votre travail, vous n'aurez pas toujours l'occasion de dormir de façon convenable. Vous devez apprendre à être efficace, même pas reposé. »

L'albinos leva un sourcil agacé. Ok, c'était probablement une idée du crétin en face. Épuiser volontairement les gens pour une raison aussi abrutie que celle-là, c'était bien une logique de gars qui va pas sur le terrain.

- « Je peux vous garantir que jamais j'aurais eu l'idée de brandir un flingue en étant claqué sans votre formation à la con. Bon, c'est fini maintenant, vous me signez mon papier, que je puisse me casser ? J'aimerais aller récupérer ma fille. »

Après un petit pincement de lèvres, le formateur décida que c'était assez, et rempli finalement le papier dont avait besoin le lycan. Une idée de sa boîte, après l'avoir envoyé pour une mission en taule alors qu'il était pas formé pour ça, ses patrons s'étaient dit que ça serait une bonne idée de faire une formation de rappel à leurs agents. Un type s'était donc éclaté à faire une formation pour une dizaine d'agents de sécurité, qui avait durée toute la nuit. Les trois-quarts (dont Noïd) avaient piqué du nez vers 4h du mat', et s'étaient fait réveiller par un coup de chemise en carton dans la gueule.
Histoire de mettre tout le monde de bonne humeur., comme si perdre du temps n'était pas suffisant.
En quittant le lieu de formation, le loup blanc retint un bâillement suivi d'un juron, et se dirigea vers l'appartement d'Eden et Lilith.

Mika était trop jeune pour passer la nuit seule, alors il l'avait confiée à son frère et à sa sœur pour la nuit.
Depuis qu'il l'avait récupérée, Mika n'avait pas passée beaucoup de nuits en dehors de leur appartement, encore moins sans son père, et ça leur avait fait un pincement au cœur à tous les deux. Mais il faisait pleinement confiance à Eden et Lilith pour la garder. Enfin, surtout à Lilith. Elle était toujours adorable avec sa fille, et semblait naturellement faites pour ça. Eden était génial aussi mais il était aussi beaucoup... Eden.

Le papa poule étouffa un nouveau bâillement alors qu'il sonna à la porte de l'appartement. Celle-ci s'ouvrit quasiment instantanément sur une Lilith un chouilla tendue. Un peu abruti par le manque de sommeil, Noïd ne capta pas du tout qu'elle avait ouvert vachement vite la porte, ni la déception qui faillit apparaître sur le visage de sa sœur.

- « 'Lu frangine. Bien dormi ? »

Elle le fit entrer, et le fit s'asseoir à table. Dès qu'il fut visible, Mika descendit de sa chaise et sauta dans ses bras. Ah, ça, ça lui donnait un petit coup de fouet. Noïd fit un énorme câlin à sa fille, et s'installa à table.

- « Je prendrais bien un café, Lithoune. J'ai quasi pas dormi, ça me ferait du bien.  »

Alors que Lilith le servait, Noïd jeta un coup d’œil à sa petiote, qui fixait le sirop d'érable. Comme d'habitude, elle n'osait pas dire ce qu'elle voulait, même si son regard traduisait comme toujours très bien ses envies. Il s'apprêtait à à s'en occuper, mais sa cadette fut plus rapide. Attentive, comme toujours, elle avait repéré le désir de sa nièce et l'avait aussitôt assouvi. Noïd lui adressa un remerciement d'un sourire. Apprendre à sa fille à s'imposer allait prendre du temps, et des comportements comme ça aidait.

- « Ouaip. Un gros bonnet s'est dit que c'était une bonne idée de nous apprendre notre boulot en pleine nuit. Non seulement j'ai rien compris, mais maintenant j'suis claqué. Un grand merci de m'avoir gardé ma pitchoune. Ça s'est bien passé ? »

Alors qu'il regardait avec un sourire la tasse de thé à l'hémoglobine de sa sœur, le cerveau de Noîd enregistra ce qui n'allait pas. Mika était un peu inquiète, même si elle le cachait bien. Lilith était un poil tendue et... L'appartement était beaucoup trop calme. Et n'avait pas l'odeur de son frère.

- « Éden n'est pas la ? C'est pas commun. »

Aucun jugement dans la voix, juste une petite interrogation. Eden travaillait tard, voir la nuit, mais  une heure pareille il aurait du être rentré. Sachant qu'ils n'étaient que rarement séparés, c'était suffisamment inhabituel pour le remarquer.

C'était officiel, Lilith avait l'air un peu absente. Non pas absente. Mélancolique. Maintenant qu'il avait réussi à passer outre son armada de cernes, il arrivait à voir qu'elle était un peu différente. Enfin, si ça se trouve il se plantait. Le nombre de fois ou il s'était retrouvé avec sa sœur sans la présence d'Eden se comptait sur les doigts des deux mains. Ils étaient tout le temps fourré ensemble ces deux là, faut dire.
AH. IL ETAIT TROP CON ! Alors qu'il réalisait sa bourde, elle l'interrogeait sur sa formation. Noïd fit un petit rictus blasé.

- « Pas pour le moment, jusqu'à ce que nos blaireaux de dirigeants se disent que c'est une bonne idée de nous faire apprendre notre taf par un gars qui a aucune idée de ce qu'on fait. Tirer en étant fatigué, j'te jure... 'Fin c'est pas très important. J'suis payé pour ça, alors autant faire ce qu'on me demande, même si c'est des conneries. » Mika le fixa du regard un instant. « Des âneries, pardon ma puce. »

Lilith enchaînait en parlant de comment elles s'étaient occupées. Des dessins ? Mais évidemment qu'il voulait voir les dessins de sa fille, il allait les encadrer, bientôt y'en aurait partout sur le mur et... Ok, calme toi un peu, andouille. Penses à ta sœur. A Lithoune qui vient doucement de demander  à Mika de quitter la pièce. Noïd avala une gorgée de son café, posa ses coudes sur la table et appuya sa tête sur le dos de ses mains.
A tout les coups, Eden avait encore fait une connerie. Gagné.
Noïd fronça les sourcils en entendant l'histoire, et se retint de lâcher un juron. Putain, ce que son frère pouvait être con quand il s'y mettait. Quitter la baraque en menaçant de ne plus y revenir ? C'est quoi l'intérêt de brailler ce genre de choses à part pour blesser ta sœur ? Et c'est ça l'objectif, laisse-moi que tu dire que tu mérites une paire de baffe, p'tit blondinet prétentieux.

Lilith était un monument d'angoisse, tout le contraire d'Eden. Elle retenait tout en elle, donnait beaucoup, prenait peu. Et Noïd savait pertinemment que rien n'angoissait plus sa petite sœur que l'idée de perdre son jumeau. Alors que l'autre couillon ait balancé ça en connaissance de cause avait légèrement tendance à gonfler l'albinos.
Lithoune, de son côté, restait fidèle à elle-même. Même alors qu'elle stressait à l'idée que sa diva de frère ne rentre pas, elle restait soucieuse de son aîné, et de sa fille. Elle lui expliquait que Mika n'avait rien entendu, qu'elle dormait profondément. C'était sans doute vrai, Mika dormait bien, surtout quand elle était avec des personnes qu'elle appréciait, et elle adorait Lilith.
Noïd retint un soupir. Elle était vraiment gentille.
Après tout ça, tout ce qui lui importait, c'était que Eden aille bien. En soi, il était d'accord avec elle. Juste qu'il avait également envie de coller une tarte à son frère. Un peu pour son comportement alors que sa nièce était dans l'appart', et surtout parce qu'il avait blessé Lilith.

Noïd se força à régler sa pensée de façon moins subjective. Eden avait un problème de dépendance, c'était connu dans la famille. Il se mettait souvent en danger, et personne ne pouvait rien y faire. Il était abîmé, et même la chaleureuse entente de la famille Park, et l'amour inconditionnel que lui offrait sa sœur n'étaient pas suffisant pour qu'il arrête ça du jour au lendemain. Il lui faudrait du temps. Mais ça ne voulait pas dire qu'il ne fallait rien faire quand il partait en vrille. Quand on déconne, c'est aussi le rôle de la famille de t'aider.
Mary l'avait plusieurs fois fait avec lui, et n'y était jamais allé de main morte.

- « T'en fais pas pour Mika, Lithoune. Elle va bien, elle a passé une bonne soirée et une bonne nuit avec toi. Je suis sûr que t'es sa tata préférée. »

Le loup posa sa main sur l'épaule de sa sœur, et la pressa un peu. Façon maladroite de lui dire qu'il était la, que tout allait bien se passer. Il n'était juste pas doué pour le formuler. Il leva sa tasse, et engloutit en quelques gorgées ce qui restait de son café, manquant de se brûler avec le liquide amer.

- « Bon. Bouge pas, j'vais aller le chercher. Je suis sûr qu'il va bien, mais te connaissant, tu vas rester là à retourner tout ce qui pourrait mal se passer dans ta petite caboche. Donc pour une fois, laisse-moi gérer. »

Les actes, ça il savait faire. Il lui frotta affectueusement la tête, et se tourna vers sa fille qui arrivait, brandissant non sans une certaine fierté quelques feuilles de papier. Noïd attrapa Mika, et l'installa sur ses genoux, détaillant avec elles pendant quelques instants chacun des dessins. Elle ne serait sans doute jamais dessinatrice, mais ses tentatives étaient adorables.

- « Tu fais un câlin à ta tante pour la remercier, ma p'tite louve ? Ça lui ferait plaisir. »

Sans se poser de questions, Mika sauta au sol, et s'approcha de la jeune femme, et se colla contre son bras. Un câlin de petite fille qui aimait beaucoup sa tante. Tu vois que tout va bien, Lilith. Elle t'adore. Noïd lui fit un petit sourire, et lui demanda :

- « Mika, je vais peut-être devoir m'occuper de quelque chose.. Est-ce que ça t'irait si on rentrait à la maison un peu plus tard, et si tu restais ici ce matin ? »

La petite fille resta inexpressive un instant, avant de faire un petit hochement de tête. Intuitivement, elle avait compris que si son père lui demandait ça, c'était que c'était important. Elle était un peu triste de ne pas repartir avec lui, mais elle aimait aussi beaucoup Lilith, alors ça allait. Noïd lui ébouriffa les cheveux, et la serra contre lui. Rien à faire, il ne pouvait pas s'empêcher de faire des câlins à sa fille.

- « T'en penses quoi, Lithoune ? Comme je t'ai dit, je suis sûr que tout va bien. Si ça te va, je vais le chercher. Ah, et t'as une idée de ou j'pourrais le trouver ?  »

Ayant eu l'accord de sa sœur, il se mit en route. Il était passablement en rogne contre son frère, mais il allait essayer de (pas trop) le secouer s'il le trouvait. Lilith lui avait donné une adresse. Un hôtel pas trop recommandable ou Eden avait l'habitude de « travailler » avec ses clients d'après danse. Eden se prostituait. Ce n'était pas nouveau, et Noïd ne l'avait jamais jugé sur ça. Il était libre de faire ce qu'il voulait de son corps, le soucis étant qu'il le faisait pour satisfaire une addiction à tout un tas de saloperies. Et qu'il se mettait en danger. P'tain... Oui, les minutes à suivre n'allaient pas être glorieuses. Il pensa à sa fille, sûrement en train de jouer avec Lilith, et se servit de cette image pour se donner du courage.
Il savait parfaitement dans quel type de milieu il allait mettre les pieds. Sa mère biologique avait fait ce genre d'emploi, elle aussi, quand il habitait encore chez elle. A ces souvenirs, il sentit son cœur se serrer un peu, et un vague sentiment de rage l'envahir. Non, ne pense pas à elle, ne pense à cette saloperie. T'as une famille maintenant, une vrai.
T'es pas comme ta mère.

En franchissant la porte d'entrée de l'hôtel, il retint un haut-le-cœur. Ça empestait. Une odeur de pisse, de drogue, d'alcool et de transpiration mêlée. Comme avant. Mais au milieu de cette ambiance, une autre odeur, plus familière. Celle de son petit frère.
Noïd jeta brièvement un regard vers le gars à l'accueil. Le même genre de type qui faisait la vigie dans son immeuble. Probablement un gars payé pour protéger les quelques prostituées ou gigolos qui officiaient dans l'immeuble. Comme chez sa mère.
Noïd se claqua nerveusement les joues. Arrête de penser à elle. Même si tout ici t'y fais penser, t'es la pour une chose, retrouver ton frère. Noïd laissa un billet au type à l'accueil pour qu'il ferme sa gueule, et entreprit de suivre la trace de l'odeur d'Eden. Cela lui prit quelques minutes. Jusqu'à ce qu'il arrive devant une porte. Elle ressemblait à son ancienne porte. Ta gueule, voix intérieure. Il était certain qu'Eden était derrière.
Alors il frappa vigoureusement à la porte, dans un bruit sourd qui résonna un peu.

- « Eden. Je sais que t'es la. Ouvre. »

Le ton était sans appel. Il était de mauvaise humeur, maintenant. Mais même comme ça, il allait ramener Eden à Lilith. Il était tout pour elle, et Noïd savait pertinemment que l'inverse était vrai également. Si Eden n'ouvrait pas cette porte, il allait la défoncer.

Il venait de faire exactement ce qu'il avait reproché à son frère. Balancer une phrase blessante sur le coup de la colère. Il était vraiment trop con. Quand il vit le poing d'Eden se lever, et se diriger vers son visage, Noïd songea brièvement que celle-la, il la méritait. Tout comme Eden avait mérité celle qu'il s'était prise quelques secondes auparavant.
A aucun moment il n'avait pensé qu'Eden n'avait rien à faire de Lilith. Mais dans un réflexe complètement con, devant le mur qui lui faisait il avait voulu le faire réagir. Qu'il dise un truc. Qu'il arrête de faire le beau, et qu'il tombe de son piedestal. Et sans doute aussi lui faire payer la phrase d'avant. Et maintenant que les mots étaient dits, tout ce qui restait était une pointe de regret. Il avait beau faire le malin et jouer les moralisateurs, il valait pas mieux au final.

Mais le poing d'Eden n'atteint pas son visage, mais le mur à côté. Noïd sursauta, autant de surprise parce qu'il était persuadé que le poing allait le mettre au sol qu'à cause du coup qui résonna dans la pièce. Eden lui ordonna de la boucler, et il ne dit rien. D'une part parce que ça valait mieux quand ton frère de deux mètres te dit de la fermer. Et surtout, parce que, pour la première fois depuis qu'il le connaissait... Eden avait des larmes dans les yeux.
Alors, sans doute pour la première fois depuis qu'il était entré dans la pièce, Noïd mit de côté toute la colère qui ne datait pas d'hier qu'il avait sur lui, ne pipa pas un mot, et écouta.

▬ Je sais que j'ai merdé. Je sais. Mais hey. J'suis humain. J'peux pas toujours faire tout à la perfection. Je vous emmerde. Tous. Toi, Lilith. Vous êtes pareils. Vous pensez quoi ? Que j'suis un putain de robot qui peut tout encaisser sans craquer à un moment ? SPOILER : NON PUTAIN.

Dans un réflexe complètement con, Noïd ouvrit la bouche puis la ferma. Il était définitivement trop con. Comme d'habitude, il avait foncé tête baissée vers ce qu'il pensait être la solution juste, la bonne pour Eden et Lilith. Mais au final, tout ce qu'il avait fait avait été de foutre les pieds dans le plat, et de secouer un type qui avait pas besoin qu'on lui rappelle qu'il avait fait de la merde. Complètement silencieux, le loup blanc écouta calmement, toute trace de colère envolée, les mots de son petits frères. Il parlait de Lilith, du stress quotidien de ce que ça représentait pour lui. Et du fait qu'il avait tout lâché pour elle.
Pour le coup, Noïd comprenait ça, du moins en partie. Même s'il donnait l'illusion d'être un « pseudo papa modèle », comme disait son frère, la gestion seul d'une gamine au quotidien l'usait. Et Eden avait d'autres soucis en parallèle. Suffisamment pour faire craquer sa carapace de gars que rien n'ébranlait, et pour qu'il se lâche vraiment.

Est-ce que les problèmes étaient une excuse pour le comportement qu'il avait eu hier soir ? Non. Malgré tout, ramener un type comme le connard d'avant dans l'appart ou dormait ta nièce et ta sœur restait une connerie monumentale. Mais Noïd était aussi con que lui pour avoir déboulé dans sa vie pour lui faire la morale, sans se poser un instant la question de comment il se sentait. Il avait pas dormi, le lieu lui avait rappelé sa mère, et il avait pas fallu plus pour qu'il fonce tout droit.

▬ J'sais ce que je suis et.. C'est pas toujours beau à voir.. Mais je suis comme ça, j'essaies juste.. De faire de mon mieux.

Pendant un instant, Noïd réalisa qu'il avait bien plus en commun avec son frère qu'il le croyait. Faire de son mieux, c'était ce qu'il faisait chaque jour depuis qu'il avait récupéré sa fille. Si quelqu'un, même son frère, avait déboulé en l'engueulant, il aurait probablement réagi pareil qu'Eden. Il méritait une baffe.

Pendant quelques secondes, un silence de plomb régna entre les deux frères, seulement rythmé par le bruit de la respiration forte d'Eden et par celle, plus discrète, de Noïd. Ce dernier, après un temps, finit par reprendre la parole.

- « Je suis désolé. »

En entrant dans la pièce, il pensait pas que ça serait lui qui s'excuserait. Se comporter comme le dernier des abrutis avait au moins eu le mérite de forcer Eden à ouvrir son cœur, mais ça n'excusait rien.

- « T'as raison, j'ai pas pris en compte ce que tu vivais. J'ai juste foncé tout droit dès que j'ai appris ce qui s'était passé hier.  Ça change rien au fait que t'as déconné, mais j'aurais pas du faire irruption comme ça en gueulant. »

Noïd posa brièvement la main sur l'épaule de son frère, puis se décala un peu du mur ou il était appuyé. Maintenant que la tension était retombée, il n'avait plus besoin de rester à quelques centimètres de son frère. Il laissa tomber ses fesses sur le lit pourri de l'hôtel, et poussa un soupir.

- « Et par rapport à Lilith... Je pensais pas c'que j'ai dit. C'était con. Mais toi aussi, ne me dis plus jamais ce que tu m'as dit. »

Il planta son regard rouge dans celui bleu clair de son frère. S'il avait pété un câble à la base, c'était parce qu'Eden avait largement dépassé son seuil de patience, et prononcé les pires mots qu'il aurait pu dire à Noïd. 'Fin jouer à « c'est toi qui a commencé » avancerait à rien. Ils avaient plus huit ans.

- « Mais si tu veux pas voir des gros abrutis comme moi à ta porte, quand ça va pas... Bah appelle-nous. Papa, Maman, Blair, moi... On est ta famille, bordel. Si y a des moments ou tu tiens pas le coup, c'est à ça qu'on sert. Combien de fois tu crois que je les ai appelé à la rescousse depuis que ma p'tiote a déboulé dans ma vie ? »

En parlant, Noïd avait sorti son téléphone, et avait commencé à taper un message, qu'il envoya juste après. Quelques secondes plus tard, il le tendit à son frère. La page affichée était celle des échanges avec Lilith. Le texto que Noid avait tapé était le suivant :

« Frangine, j'ai trouvé Eden. Tu peux arrêter de t’inquiéter, il va bien. On est tous les deux pour le moment, j'peux pas te dire tout de suite quand on va rentrer. Merci de t'occuper de ma pitchoune, embrasse-la de ma part. Bisous à vous deux. »

Lentement, le calme retombait. La tension présente il y a peu de temps commençait à s'évaporer. Eden ne pipa mot pendant un moment, mais à son regard, son grand frère captait qu'il était tout aussi désolé que lui. Bon, son regard changea lorsque Noïd posa ses fesses sur le lit, et ce dernier mit un instant à réaliser. Jusqu'au conseil, qui fit tourner quelques engrenages dans la tête du lycan albinos. Oh shit. Il a bossé sur ce lit. Noïd se leva précipitamment, en faisant la grimace, et alla s'appuyer sur un mur. Il avait réussi à foutre sa mère de côté, et voilà qu'elle lui revenait en pleine gueule.

- « Ah ouais, bonne idée, tiens... »

L'intervalle fut un peu chelou, mais il eut le mérite de dénouer la langue d'Eden, qui se mit à son tour à s'exprimer. Pour dire que même s'il savait que la famille Park était derrière, appeler  l'aide restait compliqué. Noïd eut un petit sourire en entendant ça. Comme quoi, ils se ressemblaient vraiment plus qu'il le pensait à la base. Lui aussi, il avait eut un mal de chien à s'ouvrir aux membres de la famille Park. Il avait fallu que Mary le recadre plusieurs fois comme il le désirait (par des baffes), et qu'elle lui offre paradoxalement une douceur infinie pour qu'il puisse petit à petit se confier à elle, puis au reste de la famille.
Ouaip, Eden et lui se ressemblaient décidément un peu. La seule différence était que Noîd se planquait autrefois derrière un masque d'adolescent loubard, la ou Eden cachait ses angoisses derrière sa queue de paon. Mais ce n'était pas comme si il était tout seul. Malgré tout, il avait Lilith. Et avec de la patience, peut-être qu'un jour, Eden finirait par compter un peu plus sur sa famille.
Les Park étaient comme ça. Une famille ou chacun brillait par son individualité, mais soudée comme Noïd ne pensait pas ça possible.

▬ Et je le dirais plus. J'le pensais pas non plus. T'es un bon père frangin. Je voulais pas non plus me pointer dans cet état, avec un client, alors que y avait Mika. Tu sais qu'elle compte beaucoup aussi pour moi, she's my special Starlight ♥.

Le loup aux yeux rouges eut un petit rire en réentendant le surnom qu'Eden donnait à Mika. Même dans les sobriquets qu'il donnait aux membres de sa famille, fallait toujours qu'il en fasse des tonnes. Mais bon, il était comme ça, et c'était aussi pour ce trait de personnalité que tout le monde appréciait Eden dans la famille. Si la p'tite Starlight pouvait prendre un peu de son oncle sur ce côté la, ça lui ferait du bien.
Noïd  fit un signe de tête à Eden pour lui montrer qu'il ne lui en voulait pas. Au fond, si la réplique avait fait aussi mal, c'est parce que son frère lui avait balancé un truc dont il était déjà à moitié convaincu à la base. Aussi, l'entendre l'appeler « bon père », lui passa du baume au cœur. C'était pas le genre de mot qu'il entendrait tous les jours dans la bouche de son frère, alors autant en profiter maintenant.
Noïd se reconcentra en entendant la question de son frère. Starfire. Ca aussi, c'était marrant comme sur nom. Enfin, à la réflexion, lui-même l'appelait Lithoune, ce qui était pas des masses mieux. Noïd étouffa un bâillement avant de répondre. La colère retombée, la fatigue recommençait à le frapper pas gentiment.

- « Raté. Elle a pas eu le temps, même si au final ça l'a arrangé. Quand je l'ai vu tourner en bourrique comme ça chez vous, j'lui ai proposé directement. Tu m'connais, quand ça concerne des gens chers, j'ai tendance à me mêler de ce qui me regarde pas.  »

Et à foncer dans le tas, aussi. Une fois, avec Ariel, il avait tenté de le décoincer un peu en passant une journée avec lui, et en le faisant sortir dans un bar. Résultat des courses, y avait un type bourré qui avait tenté de le pousser pour se taper son frère, et il l'avait assommé avec un tabouret. Autant dire que l'opération avait pas été un franc succès.

▬ J'sais que t'es crevé et me mens pas chéri, ça se voit comme un nez au milieu d'un visage. Mais tu pourrais rester un peu à la maison avec Mika ? ca fait longtemps qu'on s'est pas retrouvé tout les quatre.

Le plus âgé des deux fit un sourire fatigué à son frère. Ouais, il marchait à l'adrénaline depuis une bonne heure. Il allait pas tenir très longtemps, mais il pouvait pas décemment dire non à une telle proposition. Tant pis s'il était à court de carburant, la réserve allait bien le faire fonctionner un moment.

- « Adjugé alors. Ça fera plaisir à ma pitchoune. Elle vous adore, Lithoune et toi. »

Noïd s'installa près de la porte, en attendant que son frère se prépare, et consulta son téléphone. En voyant la réponse de Lilith, le coin de sa bouche se déforma un peu, se demandant ou elle mettait la limite du « trop fort » dans la notion de dispute. Certainement avant un échange de gnons, même si un avait fini dans le mur. Valait sans doute mieux qu'Eden cache la marque sur la joue, ouais. A tous les coups, Lilith allait se sentir responsable si elle apprenait que Noïd avait donné un énorme pain dans la joue de son frère. Et pis bon, lui-même tenait pas non plus des masses à ce qu'elle l'apprenne. Ce qui avait été dit ce matin dans cette chambre d'hôtel resterait entre les deux loups, et c'était très bien comme ça.
Le fait qu'il ait défoncé sa chemise lui avait aussi permis de voir les marques de la nuit avec l'autre connard. Noïd n'avait fait aucun commentaire, mais se promis intérieurement de loger son poing dans la gueule à l'autre enfoiré s'il le recroisait.
Quelques minutes après, la diva blonde était prête, aussi la fratrie se mit en route.  

- « Pas mécontent qu'on se casse, tiens... », marmonna Noïd, autant pour son frère que pour lui-même. Avec un peu de bol, le fantôme de Lucinda allait se barrer en même temps que l'ombre de l'hôtel sur leur route. Et puis, le meilleur remède aux idées noires les attendait au bout de la route qui les menait à l'appartement d'Eden et Lilith.

Lorsque finalement ils arrivèrent, et que Noïd toqua à la porte, celle-ci s'ouvrit presque instantanément sur une petite boule de vie qui franchit la porte à vive allure. Après tous les événements de la matinée, il avait l'impression que ça faisait une semaine qu'il avait pas vu sa fille. Mika lui fit un bisou sur la joue qui lui arracha un sourire, puis elle se tourna vers son colosse d'oncle, et se serra contre ses jambes. Elle faisait a peine la moitié de sa taille, donc elle pouvait difficilement faire mieux.

- « Bon retour, 'Ton. », dit la petite fille de sa petite voix habituelle, en regardant les yeux bleus de son oncle. Son père la regarda faire avec un sourire, avant de s'écarter de la porte. Il était prêt à parier que derrière la porte, y en avait une qui attendait avec impatience le retour du soleil de la maison...