Encore une autre réception, une de celles où se retrouvent toutes les personnes fortunées de la ville pour discuter business autour d’une coupe de champagne ou encore pour faire des dons à des associations. Le couple Cartwright s’y trouvait avec leur fille aînée et ils savaient déjà vers qui se tourner avant même d’entrer dans la salle de réception. Les organisateurs avaient choisi le Ritz, un des hôtels les plus prestigieux de la ville et tout était parfait comme toujours.
Après s’être présentée dans sa belle robe à des chefs d’entreprises, des hommes politiques et même des célébrités, la jeune femme demanda à prendre congé ne serait-ce qu’une minute pour piocher quelques amuse bouches. Sa mère accepta non sans lui rappeler qu’il ne fallait pas trop se servir non plus car c’était mal vu… La belle aux cheveux gris s’approcha donc des tables garnies et commença à piocher discrètement, elle profita ensuite que ses parents soient occupés pour rejoindre une table et ainsi s'éloigner de la foule. Une femme rousse était déjà assise là et son visage lui disait quelque chose mais elle n’osa pas la dévisager ni même la déranger. Elle chercha alors dans sa mémoire où est-ce qu’elle avait pu la croiser. Mathilda Cartwright remarqua au loin que sa fille était près de la célèbre bijoutière et elle lui fit un signe de la main pour qu’Elisa entame la conversation. Elle n’avait donc pas un seul répit… Elle se remit alors dans le rôle de la communicante et se tourna vers sa voisine de table.
“Bonsoir, excusez-moi… Je suis Elisa Cartwright.” Dit-elle d’une voix claire avant de tendre sa main pour serrer celle de son interlocutrice. Maintenant qu’elle avait pu mieux détailler son visage, elle put mettre un nom dessus. “Vous êtes Katyusha Orlov, n’est-ce pas ? Vos créations sont somptueuses, vous aurez sûrement reconnu ce collier.”
Elisa montra le bijou qu’elle portait pour l’amadouer. Ses parents recherchaient un bijoutier pour créer une nouvelle marque de luxe et il était important de mettre toutes leurs chances de leurs côtés. La jeune femme n’était qu’une intermédiaire. Il était également important qu’elle reconnaisse les personnes à qui elle s’adressait, cela permettait de gonfler leur égo. Même si elle était douée pour cet exercice, cela ne lui plaisait pas tant que ça.
“Votre renom est parvenue jusqu’à nous, vous seriez peut-être intéressée d’allier votre savoir faire au nôtre afin d’étendre votre influence.”
Influence qui signifiait profit, des mots qui parlaient à n’importe quel grippe-sou mais encore fallait-il connaître la personnalité de la bijoutière pour suggérer cela.
"Oui car ce serait dommage de priver l'Europe de votre savoir faire unique, bien évidemment." Affirma-t-elle avec un sourire complaisant.
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Dernière édition par Elisa Cartwright le Mer 17 Fév - 17:45, édité 2 fois
Une réception de plus. La vampiresse évoluait dans ce repère de requins et de hyènes avec l'aisance des habitués. Plongé dans cet univers depuis son plus jeune âge, ce genre de soirée était de l'ordre de la formalité. Et pourtant.... Elle ne parvenait toujours pas à apprécier cette.... Mascarade. Un jeu répugnant de faux-semblants sur fond délétère d'hypocrisie sans borne. Tout était faux.... Ces sourires, ces rires, ces simulacres d'amitié officielles. Tout n'était que jeu politique, économique et plus ou moins sociale. On venait placer ses billes, et bouger ses pions. D'ordinaire, Katyusha se contentait de faire apparition, histoire de notifier qu'elle était toujours présente dans le monde des affaires. Parfois un marché ou un accord se concluait au détour d'une occasion. Mais rarement plus. Mais cette fois.... Cela serait différent. Elle qui avait été seule la majore partie de sa vie, s'était dorénavant retrouvée avec toute une.... Famille. Et le proverbe qui disait que l'on ne choisissait pas cette dernière avait eu le mérite de se vérifier une fois encore !
Si elle ne rechignait pas à adopter les enfants et les petits enfants de son fiancé, le fait était que ces derniers étaient plutôt.... Turbulents. En temps normal, elle n'éprouvait ni intérêt, ni besoin d'avoir un quelconque contrôle sur autrui. Mais il fallait bien avouer que cette descendance avait une philosophie de vie.... Immorale à souhait, barbare et cruelle. Elle n'avait pas de problème avec l'idée de la supériorité des vampires sur les humains. A sons sens, c'était là une vérité scientifiquement observable. Les vampires étaient plus puissants, éternels, et se nourrissaient d'humains comme des prédateurs dans un milieu naturel. Mais ce n'était pas non plus là une excuse pour se comporter comme des sauvages, doublés de sadiques. L'ennuyant était qu'elle n'avait aucun moyen de les tenir tranquille ou de les inciter à se modérer. Et elle savait que tout ou tard, cela finirait mal. C'était inéluctable. Si elle ne pouvait prévenir la catastrophe, elle pouvait cependant prévoir "l'après", et commencer dès aujourd'hui à placer elle-même ses pions. Pareilles exactions exigeaient des soutiens solides et puissants.... Et le "simple" monde des affaires ne serait pas suffisant. Aussi, et même si c'était à contrecœur, elle rompit son vœu d'abstinence politique.
Elle d'ordinaire discrète avait habillement laissé l'information de son arrivée en ville circuler. Une information discrète et d'apparence anodine. Mais elle savait que les gros poissons ne manqueraient pas de relever l'indice. Et que leur curiosité les pousserait à en savoir plus…. Il n’y avait plus qu’à attendre que la proie se jette dans ses filets. Et pour parfaire son piège mis en place, elle n’avait négligé aucun détail. En premier lieu, une robe noire, longue, fluide, aérienne, et fendue. Un décolleté carré juste ce qu’il fallait pour mettre en avant sa parure de perles et de pierres précieuses. Une véritable petite prouesse artistique, qu’elle avait su assortir à des boucles d’oreilles finement ouvragées elle aussi. Les topazes et l’aigue-marine étaient à l’honneur jusque dans sa bague. Tout serait scruté et analysé de la tête aux pieds. Il n’était donc pas question de négliger ces deux points. Des talons aiguilles à lacets noirs pour les pieds, et une coiffure en chignon tresse déstructurée. Un maquillage léger, où seul le regard bleuté de la belle était mis en valeur. Tout était comme il se devait d’être, parfait. Femme fatale, c’était là ce qu’elle devait inspirer comme impression. Et elle n’avait rien perdu de ses charmes et maîtrise en la matière. Le maire ne manqua pas de la repérer et devenir lui présenter…. Ses hommages. Une visite qui n’avait rien d’innocent.
En laissant la possibilité de se renseigner sur son passé proche, uniquement, elle avait permis à ce dernier de découvrir qu’elle avait été une « généreuse bienfaitrice » de son dernier lieu de résidence. Une générosité qui ne manquerait pas de profiter à sa ville, pour peu qu’il sache se montrer convainquant auprès de la belle rousse. Cette dernière savait ce qu’il voulait. Elle allait donc en jouer pour obtenir des…. Faveurs, qu’il lui devrait tôt ou tard. Des appuis qui lui seraient plus que nécessaires lors des épisodes délicats que sa famille pourrait provoquer. Elle avait donc passé une bonne partie de la soirée à négocier sous couvert de conversations mondaines et anodines. Des négociations fructueuses à son goût mais fatigantes. Ce n’était pas parce qu’on était doué pour quelque chose que l’on aimait cela. L’Impératrice déchue alla s’assoir à une table, s’accordant un peu de répit, avant de reprendre le jeu de la mascarade. Ou du moins le croyait-elle. Une jeune fille vint l’accoster. Alors que cette dernière se présentait, la vampiresse se leva, lui serrant la main.
Enchantée Miss Cartwright. Je constate qu’il est inutile de me présenter. Effectivement je ne saurais oublier "Violine". La collection "Précieuse" avait rapidement été victime de son succès.
Bien sûr, elle n’était absolument pas dupe de l’approche exercée. Mais c’était là une parade tout-à-fait banale dans leur milieu, et même de rigueur. Aussi laissa-t-elle la jeune arriver là où elle voulait en venir et lui parler de ce qu’elle désirait réellement. Visiblement, il s’agissait d’une sorte de partenariat. Une alliance de savoir-faire, ce qui piqua la curiosité de la noble rousse. Elle avait déjà les artisans qui lui plaisaient à son service. Des services de communication irréprochables. Et de manière générale tout ce dont elle pouvait rêver. A quel sujet cette famille souhaitait-elle faire affaire ? Ladite Elisa vint alors à lui révéler les tenants et aboutissant de son approche…. Et la vampiresse réprima un rire, ne laissant transparaître qu’un léger sourire à ses derniers propos.
Mes filiales anglaises, allemandes, espagnoles, françaises et suisses vous remercient de l’inquiétude que vous pouvez porter pour leurs marchés respectifs. Rassurez-vous, ils se portent à merveilles ! A en juger depuis les dernières décennies….
La pauvresse face à elle venait de commettre une magnifique bévue. C’était assez rare dans ce milieu, même si ce n’était pas impossible, surtout dans un cas de figure…. Quand il s’agissait de jeunes poulains qu’on balançait sans scrupule dans la fosse aux lions. Et il suffisait d’observer cette jeune fille pour comprendre qu’elle était encore bien jeune dans le milieu. Une raison pour laquelle l’éternelle demoiselle ne l’accabla guère davantage. Elle avait opté pour tourner l’erreur en dérision gentillette. Il n’était pas non plus question de l’humilier. Elle décida même de lui tendre une perche.
A ce propos, il me semble avoir déjà entendu le nom de Cartwright lors d’un séjour à Londres…. Peut-être pourriez-vous m’expliquer plus en détails les actions de votre famille ? Si je ne m’abuse, sa renommée date depuis bien des générations à présent.
Dans le monde des affaires, les plus vieilles familles étaient connues, et souvent se connaissaient entre elles. Les plus vastes pouvaient se permettre de s’investir dans plusieurs domaines à la fois. Il s’agissait de savoir à qui on avait affaire en fonction des représentants qui s’adressait à soi. Et peut-être de quoi redonner un peu de contenance à la demoiselle face à elle.
Cela va sans dire qu’Elisa n’était pas en face de n’importe quelle bijoutière et ce qu’elle portait en était la preuve. Pourtant, la bourgeoise ne semblait pas être si bien renseignée que ça et elle aurait dû sûrement laisser ses parents parler à sa place car elle venait de faire une grossière erreur. Une initiative dont ils ne devaient pas être au courant car ce serait jeter le déshonneur sur les Cartwright. En effet, Katyusha lui apprit qu’elle possédait déjà des filiales en Europe et ce depuis très longtemps. La jeune femme ne s’avoua pas vaincue pour autant et tenta de rattraper le coup comme elle le pouvait. Heureusement, la personne qui était en face d’elle était charmante et avait pris les choses avec classe alors qu’elle aurait pu se sentir insultée et cela montrait qu'elle était différente des autres. Elisa reprit donc un peu de contenance avant de répondre.
“Oui, excusez-moi, ce n’est pas surprenant… Je veux dire, vos bijoux sont exceptionnels donc il va de soit que vous ayez déjà approché le marché européen. Cependant, vos clients apprécieraient sûrement une nouvelle gamme estampillée “Cartwright”.”
Bien rattrapé ou non, Elisa commençait à fatiguer. Elle avait eu des rendez-vous toute la journée et avait peu manger. Elle prit alors une coupe de champagne sur le plateau qu’un serveur amena vers les deux femmes, en espérant que cela lui donnerait un petit coup de fouet. La femme d’affaires posa ensuite des questions sur la famille de la riche héritière et ce n’était pas vraiment son sujet préféré, elle en faisait même parfois une overdose à force de répéter toujours la même chose. Son désarroi put se lire pendant une seconde sur son visage comme si la fatigue l’avait résigné.
“En effet, les racines de notre famille remontent plusieurs siècles en arrière et le nom “Cartwright” est une marque aujourd’hui. Nous possédons des hôtels et nous avons des partenariats avec différentes entreprises de luxe, de vins mais aussi d’événementiel. Certains membres de ma famille se sont lancés dans la politique et même la finance.”
La jeune femme s’exprima non sans conviction cette fois puis elle but une gorgée d’alcool. Le monde s’affairait autour d’elle mais celle-ci n’y faisait pas attention.
“Veuillez m’excusez, je ne me sens pas très bien ce soir…”
La demoiselle n’était pas du genre à se confier à n’importe qui et encore moins à une invitée de ce genre de soirée mais son corps parlait pour elle et voilà qu’elle commençait à avoir les larmes aux yeux alors qu’ils étaient rivés sur la foule. Son regard las se posa ensuite sur la rousse.
"J'apprécie réellement vos bijoux et vous n'avez certainement pas besoin de nous." Enfin une parole non mensongère ni hypocrite. "Etait-ce votre rêve au départ ? Créer des bijoux j'entends, ce doit être grisant de vivre de sa passion..." Dit-elle en essayant de sourire.
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Dernière édition par Elisa Cartwright le Mer 17 Fév - 17:44, édité 1 fois
La vampiresse fixait son interlocutrice, intriguée de voir comment elle allait réagir face à sa bévue. Si elle était parvenue à ne pas se laisser démonter, elle était plus ou moins bien parvenue à se rattraper. L'éternelle demoiselle continuait de l'observait son masque de neutralité solidement ancré sur le visage. Visiblement, cette demoiselle ne démordait pas de son idée de partenariat pour une gamme "Cartwright". Une famille qu'elle vint à présenter sous sa demande. Elle confirma les connaissances de la vampiresse, mais avec une pointe de…. Lassitude ? Ce qui était un exercice courant, pour ne pas dire incontournable dans leur caste, était vraisemblablement d'un ennuie sans nom pour cette jeune femme. Que les présentations soient, à termes, assommantes n'était pas si extraordinaire à vrai dire. Mais qu'on en fasse démonstration un peu plus. Sa ferme détermination s'effondrait à vue d'œil. La noble rousse opta pour l'instant à ne pas relever essayant de relancer cette jeune personne.
Effectivement, vos domaines d'exploitations sont assez éclectiques. Je présume que votre famille a une idée bien en tête si elle songe à une gamme de bijoux à son nom ?
Mais rapidement, l'attitude de sa jeune interlocutrice appelait à un "bas les masques" qu'elle n'avait pas forcément souhaité. Elle était sur le point de craquer. Il était à présent claire qu'elle était loin d'être ravie de sa présence en ces lieux. D'ailleurs les propos qui suivirent ne firent que confirmer ses conclusions. Craignant qu'elle ne finisse par fondre en larmes publiquement, l'Impératrice déchues pris les choses en mains.
Il fait une chaleur étouffante ici, pourquoi ne pas prendre une peu l'air ?
Une proposition qui n'en était pas vraiment une, la jolie rousse pressant son interlocutrice pour l'évacuer dignement et en toute innocence loin de la foule. Une fois sur le balcon, et à peu près isolées de la foule, la vampiresse reprit plus sereinement.
Il y a en effet fort à parier que je puisse aisément me passer du nom Cartwirght pour faire fructifier mes affaires. Le monde de la haute joaillerie est une passion, il est vrai. Mais ce n'est pas pour autant ma plus grande passion. Je garde cette dernière précieusement pour moi. Ainsi elle demeure une passion sur laquelle j'ai tout contrôle, et où je ne suis pas contrainte de l'appliquer en songeant aux lois du marché. Il y a parfois un certain confort à dissocier ses passions de son travail.
Laissant quelques instants à Elisa pour se ressaisir, elle poursuivit.
La soirée semble avoir été longue, n'est-ce pas ?
Katyusha redressa la tête vers le ciel nocturne, observant la lune ronde qui était presque pleine.
Quelque chose me dit que votre situation ne vous satisfait guère, Miss….
Le lieu était certainement le moins bien choisi pour se prêter aux confidences. Il fallait bien avouer qu'il était déconseillé de s'épancher au milieu d'un panier de crabes acariâtres. Mais elle comptait bien profiter des légers moments d'intimités qu'elle avait pu grappiller pour essayer de remettre un peu d’aplomb cette jeunette. Elle ne savait que trop la pression que ce milieu exerçait, l'ayant subi elle-même depuis sa plus tendre enfance. Voilà un mal que les sociétés n'avaient su se défaire, peu importe leur prétendue évolution. Et si les plus âgés étaient relativement rompu à l'exercice, les plus jeunes y cassaient souvent leur humanité. Il était rare que l'on voit les gens craquer. Mais il n'était pour autant pas rare qu'ils craquent, bien au contraire. Et elle connaissait à quel point ces vautours adoraient se gaver de chair fraîche lorsqu'ils voyaient l'un d'entre en détresse ou à l'agonie. Point de pitié, point de compassion, mais une ultime persécution sur ton de condescendance et de mépris à peine voilés. Les charognards s'acharnaient à cœur joie, et ne faisaient qu'une bouchée de ceux qui avaient eu le malheur de ne pas être aussi corrompu qu'eux. Avant de retourner dans la salle, il fallait qu'Elisa vide son sac, et se reprenne. Sans quoi, elle serait irrévocablement perdue…. Elle devait donc être prête à faire de nouveau face à ces loups, pour mieux retourner dans cette fosse aux vipères.
Elisa tentait tant bien que mal de faire bonne figure tout en répondant aux questions concernant sa famille et ses projets mais elle n’était pas d’humeur ce soir-là. Il faut dire qu’elle était de plus en plus malheureuse de vivre une vie qui ne lui convenait pas et elle avait l’impression de rater beaucoup de choses. Le temps filait vite et il fallait en profiter puisqu'elle n’était pas éternelle comme certains. Katyusha remarqua que quelque chose clochait et elle prit aussitôt les choses en main, pour le plus grand étonnement de l’héritière. Pour une fois que celle-ci tombait sur une personne conciliante et compatissante… Cela lui faisait du bien. Elle suivit donc la rousse jusqu’à l’extérieur et elle se sentait déjà mieux. Katyusha profita du calme pour répondre à sa question et la jeune femme aux cheveux gris l’écoutait avec un petit sourire car une conversation plus sincère s’était enclenchée. Ce sourire disparut lorsque la bijoutière évoqua l’état émotionnel de la jeune femme.
“Oui… En effet.” Dit-elle en gardant la tête haute.
Pouvait-elle réellement se confier à une inconnue ? Après tout, il était difficile de se faire des amis dans un monde de requins. Elisa craignait même que Katyusha fasse part de son incompétence à ses parents mais c’était peu probable, elle l’aurait déjà fait sinon. Elle prit alors son courage à deux mains et avoua une information que seules ses soeurs connaissaient.
“J’aimerais vivre de ma passion mais maintenant que vous dites qu’il est préférable de les garder en dehors du monde professionnel, je commence à douter. De toute manière, ma vie est déjà tracée. Je suis destinée à devenir la femme d’un homme riche et puissant qui me trompera sûrement et qui me demandera de rester seule dans notre demeure qui se trouvera je ne sais où.”
Encore une fois sa voix était monotone mais la jeune femme n’était pas résignée pour autant car elle espérait toujours pouvoir changer de vie.
"Êtes-vous mariée Miss Orlov ? J’aimerais tellement être indépendante comme vous, être respectée pour mon travail sans devoir se cacher dans l’ombre d’un homme. Vous êtes un modèle pour moi.” Avoua-t-elle avec le sourire alors le vent caressait son visage pâle.
Cela ne signifiait pas pour autant qu’Elisa rejetait l’empire familial ou n’admirait pas ses parents mais elle souhaitait simplement voler de ses propres ailes. Cependant, elle ignorait comment s'y prendre et elle craignait s'attirer les foudres des membres de sa famille.
L'Impératrice déchue écouta silencieusement le récit de cette jeune fille. Et un épouvantable goût de déjà vu vint envahir son palais d'une amertume nauséabonde. Une vie toute tracée…. Un mariage arrangé…. Se faire déposséder de sa liberté…. Être offerte en pâture à un inconnu, sans la moindre garantie de sécurité. Bien sûr, la vampiresse n'avait aucune certitude ni aucune preuve que cette demoiselle tomberait elle aussi sur un odieux mari, qui ferait d'elle une victime et la maltraiterait ou pire…. Toutes les femmes ne connaissaient, heureusement, pas son destin. Mais Katyusha n'était pas du genre à ignorer le moindre risque la concernant. Et d'ailleurs, le principe du mariage revint dans la conversation. Ne pouvant trahir sa nature en parlant librement de ses expériences, la noble rousse improvisa.
Pour l'heure je ne le suis pas. Mais si cela doit se faire, je sais que je ne permettrais pas, et à quiconque, de choisir pour moi l'homme qui sera supposé partager le reste de mes jours. Les affaires sont les affaires, mais ma vie privée tout comme mon amour ne sont pas à vendre. D'ailleurs c'est aussi un message tacite dans notre milieu. Je suis indépendante, je me respecte, et je me sais suffisamment capable pour me débrouiller sans l'apport d'un mariage arrangé.
Que les parents l'acceptent ou pas, ce genre de mariage revenait littéralement à traiter leur progéniture comme du bétail docile et corvéable. Traiter sa descendance comme un atout commercial ou politique était certes un moyen d'étendre son champ d'action. Mais pour les "puissants" les plus indépendants, et généralement les plus influents, c'était aussi une sérieuse marque de faiblesse ou d'avidité très mal gérée. Malheureusement ces derniers étaient certes les plus "forts" mais ils étaient également les plus rares…. Et ceux qui souhaitaient s'élever à leur niveau usaient justement de ces sordides jeux d'alliance. Car c'était là un chemin plus rapide et plus confortable…. Afin d'enfoncer le clou, la vampiresse repris.
Ce genre de fléau est hélas monnaie courante dans nos sphères, mais je ne peux que les désapprouver. Une connaissance en fit malheureusement les frais, ayant eu le malheur de se voir désigner un mari violent et infidèle. Sa vie a été un calvaire, jusqu'à ce que hélas, il y mette fin…. Cette triste histoire date, mais ce genre de criminel n'a jamais cessé d'exister, et leur profil continue de sévir. Un homme qui, bien entendu, était décrit comme bien sous tout rapport, un excellent parti qui aurait fait le bonheur de toutes ces demoiselles. Charmant et agréable. Aucun parent, aucune famille n'est à l'abri de ces infâmes personnages. Des manipulateurs nés, qui savent charmer et tromper leur monde…. Et abusent de leurs pauvres victimes.
La vampiresse ferma les yeux et secoua doucement la tête.
Même si tout enfant doit beaucoup à ses parents et peut-être même à leur famille, en aucun cas, ni aucune circonstance ils ne doivent être dépossédé de leur liberté et de leur vie. Vous n'êtes pas un objet dont vos parents ont le droit de jouir comme bon leur semble. Que ce soit pour le bien de votre famille ou même parce qu'il s'inquiète pour vous…. Vous seule devez choisir vos batailles. Car si vous échouez vous aurez échoué pour vous et non pour les projets d'autrui.
La vampiresse étouffa un petit rire et rouvrit les yeux.
Voilà que je tiens des discours de vieille femme endurcie. Même si mes propos restent pertinents, ils ne sont certainement pas les plus plaisants à entendre.
La noble rousse porta son regard vers le panier de crabes qui servait de salle de réception.
Je ne peux pas dire que je n'ai jamais fait de concession dans ma vie. Ni que j'ai apprécier toutes les expériences que j'ai pu traverser. Mais…. Chaque sacrifice, chaque mauvais moment que j'ai dû endurer étaient le résultat de mes choix, et surtout étaient accomplis dans l'optique d'accomplir un objectif qui me tenait personnellement à cœur. C'est pour moi une grande satisfaction de ne pas avoir de regret à ce sujet.
La demoiselle tourna ensuite son regard vers les parents de sa jeune interlocutrice.
Savoir composer avec sa famille…. Est parmi les exercices les plus délicats de nos existences. Le souci de ménager les susceptibilités des uns, les attentes et les espoirs des autres…. Difficile de ne pas se perdre en chemin. C'est pourtant une étape incontournable de nos vies.
Katyusha porta de nouveau son regard sur Elisa.
Il serait prétentieux de ma part d'affirmer que je suis un modèle à suivre…. Mais si vous estimez que tel est le cas, armez vous de courage et de caractère pour défendre vos droits, vos opinions, et préparez vous à vous battre bec et ongle pour réussir vos ambitions. Vous seule savez ce qui est le mieux pour vous. Vous seule savez ce que vous désirez vraiment….
Comment était-il possible encore de nos jours de sacrifier la vie d’une de ses filles pour le business ? Une pratique désuète et même barbare qui persistait dans le monde entier, sans que personne n’ait quelque chose à redire, sous prétexte que c’était “comme ça et pas autrement”. Elisa pouvait toujours refuser et renoncer à tout ce qui l’attendait mais le scandale serait tel que le nom des Cartwright risquait d’être bafoué. Elle pouvait également dire adieu au luxe et se retrouver sans un sou. Une sorte de chantage affectif qui passait totalement inaperçu. Cependant, le discours de Katyusha fit réfléchir la bourgeoise car elle arrivait très bien à se débrouiller seule et elle se dit “pourquoi pas moi ?” mais la route était encore longue car il y avait plusieurs paramètres à prendre en compte.
La suite fit réagir la jeune femme qui était horrifiée par le récit que la rousse venait de partager. Comment pouvait-on être aussi cruel ? C’était la réalité pourtant mais Elisa en était bien loin. Surprotégée depuis son enfance, elle n’avait été bercée que par des contes de princesses. “Et si cela m’arrivait également ?” pensa-t-elle. Cette dernière ne répondait pas pour l’instant, trop perturbée par tout ce flot de pensées contradictoires mais elle écoutait bel et bien. Elle laissa son interlocutrice parler sans l’interrompre et son visage se décomposait au fur et à mesure de la conversation, comme si elle venait de se prendre une claque. La prise de conscience était rude mais nécessaire, enfin si elle décidait d'en faire quelque chose mais son éducation stricte reprit le dessus.
“Vous avez bien raison même si c’est déplaisant et j’aurais aimé qu’il en soit autrement…” Souffla-t-elle en regardant le ciel. “Cependant, je n’ai pas la force de… De tout arrêter. J’ignore comment m’y prendre, maintes personnes en attendent beaucoup de moi.”
Ses yeux embués rivèrent sur le sol, elle avait l’air maintenant d’un petit oiseau complètement perdue, incapable de bouger. La jeune femme savait bien ce qu’elle voulait faire de sa vie mais elle avait l’impression d’être coincée.
“Certains attendent ma chute pour garnir leur torchon, espérant que je tombe dans la drogue ou que je sois vue dans une position compromettante, tous mes faits et gestes sont contrôlés alors je dois vivre presque comme une recluse mais je pense que mes parents accepteraient mieux mes frasques que je renonce aux affaires familiales. Ils souhaitent le meilleur pour mes soeurs et moi alors le fait que je m’émancipe serait terrible pour eux. Ils ne comprendraient pas et penseraient peut-être même que je suis ingrate.”
Elle releva ensuite son regard bleuté sur Katyusha et reprit faiblement. “Il n’y aucune issue possible.”
Puis les larmes coulèrent en silence. Elle les sécha aussitôt avec ses doigts pour faire bonne figure comme toujours, elle n’avait pas le droit de pleurer mais la pression était vraiment trop forte. Néanmoins, se confier à la bijoutière lui avait fait un peu de bien, elle avait un côté réconfortant et maternel.
Ho combien elle comprenait ces inquiétudes et ces tourments. Si à son époque il n'était même pas envisageable pour une jeune fille de songer à s'émanciper par ses propres moyens, le fait que Tybalt ait décidé pour elle l'avait forcé à faire face. Cela était certainement plus confortable en un sens, car elle avait eu quelqu'un sur qui se reposer. Mais dans un autre, elle était restée dans une sorte de dépendance, car elle était la résultante des choix de son mentor pour elle. Certes il avait pris soin de songer aux intérêts de sa pupille avant tout autre chose. Mais elle n'avait pas eu l'opportunité de se débrouiller purement par elle-même avant la triste disparition du vampire. Elle aurait tant aimé qu'il soit là lorsqu'elle avait alors pris son réel envol…. Mais les souvenirs et les regrets appartenaient au passé. Et Elisa était du ressort du présent, même s'il était troublant de réaliser avec quelle aisance elle voyait en elle une image de son propre passé. L'Impératrice déchue reprit alors avec un léger sourire.
Il faut une force de caractère d'acier pour affronter ce périple de manière frontale. Dans votre cas, cela serait bien trop prématuré. On ne s'endurcit pas en un claquement de doigts. Cela dit, vous disposez de plus de ressources que vous ne le pensez. Vos parents vous ont inculqué l'art des négociations et des conversations…. Mais si vous savez défendre les intérêts de votre famille, rien ne vous empêche d'utiliser ces mêmes stratégies pour défendre vos propres intérêts. Identifiez vos désirs et ambitions. Construisez des argumentations autour de ces dernières pour les présenter comme le meilleur choix à faire. Et…. N'ayez pas le moindre scrupule à utiliser ce genre de soirée à vos fins personnelle. Quelque soient vos projets, il y aura forcément des personnes ici qui seront susceptibles d'y trouver un intérêt, et s'offrir en appuie. Battez-vous avec les armes qu'on vous a donné…. Aussi paradoxale que cela puisse être, il vous faut acquérir une certaine dose d'égoïsme.
La noble rousse savait ô combien ce genre de discours pouvait être déstabilisant, pour ne pas dire choquant pour une jeune fille "de bonne famille". On façonnait ces pauvresses en modèle de vertus, de jolies biches qui resplendissaient, mais qui étaient ensuite offertes en pâture aux loups. Difficile d'accepter pour ces demoiselles attachées à l'idée d'une certaine droiture, de devoir s'armer de ce que l'on décrivait comme des défauts, afin de pouvoir vivre dignement. Aussi, la vampiresse se devait d'argumenter ses déclarations proches de l'inacceptable.
J'entends bien que mes propos peuvent choquer, mais hélas, ils sont le fruit d'une certaine expérience. Voyez plutôt votre situation. Vous n'êtes pas heureuse. Vous vous sentez prisonnière d'attentes, d'obligations. Vous ne vivez plus pour vous, pas même pour votre idéal, mais pour l'idéal de quelqu'un d'autre, pour un nom. Ce même nom, cette même famille, se soucie-t-elle de cet impact sur vous ? A-t-elle seulement pris en considération vos aspirations, votre personnalité, ce que vous souhaiteriez faire de ce qui est votre vie ? Est-il juste, est-il sage, est-il logique de vous sacrifier pour quelque chose qui n'a qu'une estime réduite pour vous ? Et qui pourtant n'a pas le moindre scrupule à se servir de vous pour parvenir à ses fins ? En dépit des conséquences sur vous.
Katyusha laissa un petit temps à son interlocutrice pour digérer ses propos. Elle avait bien conscience que ce genre de conversation était particulièrement difficile à gérer. Et pour cause, elle balayer avec la finesse d'un ouragan les fondations fragiles et illusoires de la jeune femme face à elle. Et pourtant, elle continua d'enfoncer le clou, soucieuse de réduire à néant les chaînes de la culpabilité de cette victime des hautes sphères.
Les parents confondent souvent ce qui est le mieux pour leurs enfants, et ce qui aurait été le mieux pour eux. Il n'y a pas grande bienveillance à contrôler le moindre fait et geste de sa descendance. Quelle différence y aurait-il entre des pantins articulés et leurs enfants ? N'est-il pas troublant se dire que des parents accepteraient plus facilement de voir leurs enfants sombrer dans la drogue et l'alcool, et devenir la proie des plus malintentionnés, que d'accepter qu'ils soient heureux et épanouis selon leur propre critère ? Des parents qui tolèreraient que leurs enfants se détruisent, plongés dans le mal-être le plus complet, plutôt que de s'éloigner d'un héritage purement mercantile ? A quoi bon posséder des affaires florissantes si l'on mène une vie de regrets et d'amertume ? La richesse et la prospérité ne sont pas gage de bonheur et d'épanouissement. Et je n'envie à aucun moment celui ou celle qui vie une existence de frustration et de sacrifices perpétuels en échange d'une richesse ou d'une renommée qu'il apprécie à peine.
L'éternelle demoiselle écoutait les craintes et les appréhensions de son interlocutrice. Une situation sans solution. Comment pourrait-il en être autrement à ses yeux ? Il est bien difficile d'imaginer pouvoir atteindre la lumière lorsqu'on se trouvait actuellement au fond d'un sombre tunnel. Il était même normal qu'elle se sente ainsi prise au piège, car c'était là l'impression que lui donnait sa position. Et briser cette illusion était loin d'être chose aisée. Cela dit, il n'y avait pas à hésiter. Il suffisait de voir ses larmes pour comprendre le nécessaire de la chose.
Il est normal que votre situation paraisse sans solution. Les chemins à prendre pour espérer s'affranchir sont longs et périlleux. Souvent effrayants même. Il faut avancer dans un inconnu, accepter les erreurs et les échecs qui traverseront votre route, et continuer d'avancer envers et contre tout. Mais…. A force de pugnacité et d'apprentissage…. Il n'est pas impossible de s'en sortir. Je ne vous cache pas que cela demandera du temps, et du courage. Il vous faudra observer, apprendre et réagir en conséquence. Mais….
La vampiresse esquissa un léger sourire.
….Vous m'apparaissez comme une jeune fille intelligente Elisa. Il vous manque certes du caractère et de la confiance en vous, mais rien qui ne soit immuable si vous décidez de prendre le taureau par les cornes. Armez-vous de patience et de méfiance…. Ajoutez-y une pointe d'audace, et une bonne dose de pugnacité. Et vous atteindrez vos propres sommets.
C’était une véritable chance pour Elisa d’avoir pu tomber sur une femme comme Katyusha car elle était ce qu’elle aimerait devenir mais comme cette dernière disait, la bourgeoise ne pouvait changer de vie du jour au lendemain. Elle la conseillait depuis quelques minutes maintenant alors qu’elle aurait pu simplement ignorer la peine de la jeune héritière et ça lui faisait chaud au coeur d’être soutenue, ainsi que d’entendre un discours sincère. Un lien venait de se créer avec cette femme, comme si elle allait devenir un guide. En tout cas, Elisa comptait bien la revoir si la rousse acceptait, bien évidemment.
Elisa avait besoin de personnes comme elle dans sa vie et non de rapaces alors il était préférable de ne pas en rester là et puis, elle souhaitait en apprendre plus sur Katyusha. La belle ravala ses larmes et écouta la rousse qui ne se démontait pas. Elle intégra chaque parole au point qu’un feu intérieur commença à brûler en son être. Il était certain que personne n’avait le droit de sacrifier sa vie, même pour un nom et qu’elle devait tout faire pour trouver le bonheur. Elle était assez érudit pour se débrouiller par elle-même mais ses peurs la bloquaient. La femme d’affaires pouvait donc peut-être lui permettre de se lancer en oubliant cette petite voix qui lui chuchotait qu’elle n’y arriverait pas.
“Je peux bien trouver un compromis, j’imagine…” Dit-elle avec un faible sourire. “En commençant par prouver à mes parents que je suis capable de réaliser des projets sans eux. Ainsi, ils réfléchiraient peut-être à me laisser prendre mon envol.”
La jeune femme devait cette prise de conscience à la bijoutière qui avait pris le temps de lui donner les clés vers, qui sait, un nouvel avenir. Les choses se construiraient pas à pas, avec les bonnes personnes qu’elle devait encore rencontrer.
“Je vous remercie Miss Orlov, pour la première fois de ma vie j’entrevois un futur différent de celui que l’on m’impose et j’espère apprendre auprès de vous.”
Les larmes étaient encore au coin de ses yeux mais elle souriait plus franchement cette fois.
“Pour le moment, je dois faire ce que j’ai à faire…” Elle effectua une révérence et reprit. “Je viendrai vous rendre visite à la boutique, bonne soirée.”
Elisa reprit son masque de l’indifférence et retourna dans la salle après s’être refaite une beauté. Rien n’était gagné et peut-être même que la jeune femme allait changer d’avis mais pour l’instant, elle se portait mieux grâce à Katyusha. Evidemment, elle ne parla pas de cette entrevue à sa mère et lui raconta plutôt qu’elles avaient discuté de ses affaires.
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