Après cette journée de travail, j’avais décidé d’aller me détendre en allant manger un bout, j’avais envie d’une petite pâtisserie dans une boulangerie. Après m’être régalée, j’ai décidé de me rendre dans une boutique de vêtements, de faire un peu de shopping. Une fois quelques achats effectués, je prends la direction de chez moi. Quelques transports en commun et c’est réglé. Après cette petite journée, l’envie de se relaxer était bien présente. J’ai hâte de rentrer pour me reposer. Enfin hâte, oui et non, j’ai passé tellement d'années enfermée dans cette maison qu’aujourd’hui, toutes les occasions de m’en échapper sont bonnes à prendre. Mais la fatigue qui me gagnait me poussa tout de même à rentrer assez vite. Je m’imaginais rentrer chez moi, me doucher puis me poser dans ma chambre, lire un peu. Un petit programme bien tranquille pour finir la journée. Malheureusement, ça aurait été trop beau que ça se passe ainsi. A peine je passe la porte d’entrée que ma mère me saute dessus en me posant tout un tas de questions..
Non mais t’as vu l’heure ? T’étais où ? Tu faisais quoi ? T’as pas envoyé de message ! Il aurait pu t’arriver quelque chose. Tu aurais pu prévenir !
Wow doucement, j’ai 26 ans, je ne suis plus une petite fille. Il est 19h, le soleil n’est même pas couché. Les autres filles de mon âge sortent des fois bien plus tard que ça et il y en a même qui n’habitent plus avec leurs parents.
Les autres c’est les autres ! S’ils veulent faire n’importe quoi c’est leur problème. Maintenant ça va être travail et tu rentres directement après !
Pardon ? C’est une blague j’espère. Vous m’étouffez !
J’essaye de garder un semblant de calme mais le ton de mes parents monte. Je vais exploser, ce n’est plus possible. Je soupire, posant mes achats.
Vous avez gagné, je m’en vais et je reviendrais quand vous serez calmé et que vous arrêterez avec vos idées de me garder enfermer. Ce n’est plus vivable ici !
Sur ces mots et sans leur laisser le temps de répondre, je claque la porte derrière moi. Il y avait parfois quelques tensions entre nous, mais là ça a commencé à exploser et je préfère partir avant que ça ne dégénère. Sans prendre de téléphone ni rien, en fait j’ai tout laissé à la maison, je suis partie sans me retourner. J’ai déployé mes ailes d’ange pour m’enfoncer dans l’Angeles National Forrest. Je vole une vingtaine de minutes avant de me sentir fatiguée et de retourner prendre pied, laisser disparaître mes ailes et m’enfoncer dans la forêt. Je suis déjà venue dans cette forêt mais je ne la connais pas totalement. En fait, je n’en connais qu’une petite partie. Je continue ma promenade, la forêt est plus agréable que mon chez moi. Je marche quelque temps, parfois je me pose un peu, je découvre un peu plus la forêt. Entre-temps, la nuit est tombée. Il y a quelques lucioles, c’est joli, ça fait des points lumineux. Bon… Par contre je me suis perdue je crois… Et dans la nuit, ça ne va pas être évident de retrouver mon chemin. De plus, je sens la fatigue me gagner. Je vais m’adosser à un arbre et je m’emmitoufle bien dans mon manteau et je finis par m’endormir. Quelques heures passent avant que je me réveille. Des hurlements… De loup ? Pleine lune ? Ah oui… Lycan ? Je ne sais pas mais c’est probable. Je devrais peut-être rester sur mes gardes, je n’en ai jamais rencontré. Je me relève de mon arbre et j’essaye de reprendre mon chemin. Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais. Je marche quelques mètres avant de me retrouver propulsée en arrière, puis par terre. Je pousse un cri de surprise. Une créature énorme me surplombe et grogne. Ses pupilles sont dorées et j’ai l’impression qu’elle va me dévorer. Je tente de la repousser mais cette créature a une force incroyable et moi, je suis tétanisée ! C’est rare que j’ai peur mais là, le danger est imminent.
La fin du mois de mars approchait. Le printemps était là, amenant avec lui la chaleur d’un soleil timide parfois chassé par quelques averses fraîches. En ce soir de pleine lune, il faisait particulièrement bon. Les températures baisseraient peut-être dans la nuit mais pour le moment, l’air était agréable. Du coup, j’aurais voulu passer cette soirée à faire des choses intéressantes, profiter, tout simplement. Mais qui dit pleine lune dit transformation. Et je ne pouvais pas y échapper. Par contre, je pouvais tout de même sortir me balader. Je proposai alors à Janna d’aller dormir chez sa grand-mère. J’aurais préféré qu’Akira vienne à la maison mais comme elle travaillait de nuit, elle était beaucoup moins disponible le soir. Tant pis, il y avait d’autres solutions. Je déposai donc ma fille chez ma belle-mère en début de soirée. Nous dînâmes ensemble et je repris la voiture pour rentrer à la maison. Sur le trajet, je me mis à cogiter sur les futures transformations de Janna. Il fallait que je pense au fait que je ne pourrais plus la laisser chez sa grand-mère ou auprès d’Akira les soirs de pleine lune. Quand le grand jour arriverait, il faudrait que je sois présent. Le problème : cela pouvait se passer n’importe quand. Là, j’estimais qu’elle était trop jeune. Elle aurait bientôt quatorze ans, c’était encore tôt. J’avais eu ma première transformation à quinze ans. Mais mieux valait rester prudent. Les enfants devenaient de plus en plus précoces au fil des décennies. Je me trouvais sur la voie rapide et sortis en direction de Santa Clarita. Mais au lieu de prendre la boucle qui permettait de traverser et de m’emmener vers la maison, je restai à droite et empruntai une autre voie. Elle menait vers le grand parking depuis lequel je pouvais accéder à l’Angeles National Forest par l’Ouest. Cela faisait un moment que je n’étais plus retourné de ce côté de la forêt. Autrefois, le camp des Pawnees s’y trouvait. Maintenant, celui des Audillos duquel je faisais désormais partie, se situait bien plus à l’Est. Je me garai, descendis du véhicule. Je pris mon sac à dos dans le coffre et me mis en route. Les journées étant plus longues, je pus profiter de la lumière du jour pendant un bon moment. Quand l’obscurité commença à tomber, ma vue de lycan s’adapta et mes iris prirent une teinte dorée. Je me demandais si des chasseurs traînaient encore dans ce coin après les bouleversements et les violents affrontements survenus entre les lycans et les traqueurs ces dernières années. En tout cas, je ne croisai pas âme qui vive jusqu’au moment de me transformer. Je me mis dans un coin à l’abri, me déshabillai, rangeai mes vêtements dans le sac à dos et attendis. Comme d’habitude, ce fut douloureux. Pas moyen de résister davantage au changement de corps même après toutes ces années… Une fois sous ma forme lupine, mon sac bien en place sur mon dos, sanglé au niveau du poitrail, je poursuivis ma route, en courant cette fois. J’avais besoin de me dépenser. Je fis pas mal de kilomètres, m’arrêtai parfois pour écouter la nature le temps de reprendre mon souffle. Et je continuai. Ainsi passa la nuit, dans la plus grande tranquillité. De temps à autre, je percevais le hurlement lointain d’un autre lycan. Peut-être s’agissait-il d’un membre des Audillos, ou d’un ami de la meute. Mais il pouvait aussi être question d’un loup beaucoup moins sympathique, venu ici pour chasser de l’humain perdu en forêt. Et mon raisonnement ne tarda pas à être vérifié. Pas plus d’une dizaine de minutes s’écoulèrent avant que je ne tombe sur un lycan prêt à dévorer quelqu’un. Ce quelqu’un, c’était une demoiselle aux cheveux d’un roux flamboyant et au visage pâle comme le clair de lune, qui avait l’air de ne pas savoir ce qui lui arrivait. Bloquée au sol par les pattes du loup qui la maintenait fermement, elle semblait vouloir hurler sans qu’aucun son ne parvienne à sortir de sa bouche. J’approchai. Quand il me vit, le lycan me grogna dessus, voulant clairement dire « Dégage, c’est ma proie ». Je ne faisais pas partie de ces loups assoiffés de sang mangeurs de chair humaine. Et je n’allais certainement pas laisser cette fille se faire dévorer. Je grognai à mon tour. Il comprit que je ne comptais pas passer mon chemin sans rien faire. Alors il me fit face. La jeune femme aurait pu en profiter pour s’échapper. Mais apparemment, la peur la paralysait toute entière. Le lycan devait l’avoir compris puisqu’il l’oublia complètement pour se jeter sur moi. L’affrontement fut de courte durée. Mon adversaire était presque aussi imposant que moi mais j’étais plus rapide. Je gagnai quand même une sacrée morsure au niveau de l’épaule gauche. Mon pelage blanc-beige se retrouva coloré de rouge tandis que je ripostais et faisais fuir le lycan. Avant de m’intéresser à la victime, je pris d’abord le temps de tendre l’oreille pour être sûr que l’agresseur était bel et bien parti. N’entendant rien d’alarmant, je me tournai vers la demoiselle qui n’avait pas bougé depuis le début. Je voulais lui demander si elle allait bien mais, évidemment, je ne pouvais pas parler sous forme lupine. Je m’en approchai doucement et, à deux pas d’elle, m’abaissai jusqu’à m’allonger sur le ventre, les pattes avant devant moi, la mâchoire posée dessus, un peu comme si je réclamais des caresses. Je faisais toujours ça pour montrer que je n’étais pas hostile. Une chance sur deux que ça fonctionne…
La nuit s’était plutôt bien passé jusqu’à maintenant mais il faut croire que le destin en a décidé autrement. Un loup, un sacré gros loup d’ailleurs, un lycan je dirais même mais rien de sûr, je n’en ai jamais vu. Ou en tout cas, sous leur forme de… Loup ? Était-ce le destin ? Un coup du karma qui me punit d’être partie, de m’être pris la tête avec mes parents ? Qu’y a-t-il de mal à vouloir plus de libertés après avoir été trop longtemps enfermé ? La question actuelle est: est-ce que ça va finir ainsi ? Eh bien, il faut croire que non. Un autre loup a fait son apparition et c’est une lutte entre les deux qui commence. Je ne bouge pas. Ce n’est pas que je ne le veux pas mais je suis comme paralysée. Finalement, mon attaquant part et l’autre loup reste, celui qui m’a défendu. Il se couche sur le ventre, les pates en avant et la tête posée dessus. Cette bouille… Comment ne pas craquer ? Je me redresse alors doucement. Etait-ce un piège ? Je ne pense pas, il n’aurait pas pris autant de risque sinon, surtout qu’il est blessé à l’épaule. Je me lève et m’approche doucement. Tiens, un loup avec un sac ce n’est pas commun. Ce doit être un lycan et je suppose que lorsque le soleil se lèvera, il reprendra forme humaine. J’hésite quelques secondes avant de me baisser puis finalement, je viens poser ma main sur sa tête, lui offrant quelques caresses. Un doux sourire se pose sur mes lèvres.
Merci beaucoup de m’avoir sauvé. Je suis désolée que vous vous soyez blessé mais… Je peux peut-être y remédier.
Je ne suis pas la plus douée étant encore un peu jeune pour avoir la maitrise totale de mes pouvoirs mais je pense pouvoir soigner cette blessure. Je pose alors ma deuxième main sur la blessure et j’utilise mon don de soin pour la faire disparaître.
Et voila, comme s’il ne s’était rien passé !
Je continue les caresses sur sa tête puis sur son dos avant de rire légèrement. J’ai trop envie de le papouiller, il est trop chou, on dirait une peluche géante !
Cette bouille à croquer !
Je regarde alors vers le ciel, il semblerait que le soleil ne va pas tarder à se lever.
Quelques secondes de doute passèrent, le temps que la rouquine analyse la situation. Enfin, elle retrouva l’usage de ses jambes et se redressa. D’abord un peu méfiante, elle finit par me rejoindre, lentement. Elle se baissa, la main tendue vers moi. Je ne bougeai pas d’un poil et la laissai faire. Quand le bout de ses doigts commença à effleurer ma tête entre les oreilles, un gros frisson me parcourut l’échine. Oh bordel, j’avais oublié à quel point c’était agréable ! Avant, j’avais droit à quelques grattouilles de la part d’Akira quand elle venait tenir compagnie à Janna pendant mes transformations. Mais cela faisait quelques années que ma fille de cœur ne m’avait plus vu sous ma forme lupine. Elle était très occupée dans son travail nocturne de dame de compagnie. Quant à Janna, elle avait passé l’âge de faire des papouilles à son papa… Dommage. Profitant donc des caresses de l’inconnue, je fermai les yeux, bien trop ravi de ce contact oublié.
- Merci beaucoup de m’avoir sauvée,dit-elle.Je suis désolée que vous vous soyez blessé mais… Je peux peut-être y remédier.
Je rouvris les yeux, la vis sourire gentiment. Et comment comptait-elle s’y prendre sans matériel ? A moins de cacher toute une artillerie de secours derrière un arbre, je ne voyais pas par quel moyen miraculeux elle allait me soigner. Et de toute façon, elle n’avait pas besoin de se déranger pour ça, ce n’était qu’une petite blessure qui disparaîtrait dans quelques heures. J’allais me mettre debout mais la jeune femme posa son autre main contre mon épaule ensanglantée. Une douce chaleur se répandit alors sur ma peau et à l’intérieur de la morsure. L’instant d’après, plus de douleur ni de sang.
- Et voilà, comme s’il ne s’était rien passé !
Oui, exactement. Comment avait-elle fait ça ? Elle rit, un joli rire innocent et amusé qui rosit ses joues pâles.
- Cette bouille à croquer !fit-elle en continuant ses caresses, plus loin vers mon dos.
Ҫa y est, on me prenait encore pour un mignon toutou. Mais je n’allais pas m’en plaindre. Ses ongles qui grattouillaient mon crâne me faisaient un bien fou ! J’avais bien fait de la sauver, celle-là. Mais trêve de rêveries, le jour commençait à se lever doucement. D’un même mouvement de tête, nous regardâmes tous deux vers le ciel. Il devait être entre cinq heures et six heures du matin, quelque chose comme ça. Je n’allais pas tarder à reprendre forme humaine. Le fait même d’y penser me fit ressentir des picotements dans tout le corps. C’était le moment, je devais faire vite. Brisant le contact entre la rouquine et moi, je me levai. Elle se mit debout à son tour. Elle était toute petite face à ma carrure de loup. Lui tournant le dos, je m’éloignai de quelques mètres et allai rapidement me cacher derrière un gros buisson. Quelques secondes de douleur plus tard, je retrouvai mon corps que je m’empressai de vêtir. Et je sortis de ma cachette.
- Je n’ai rien contre le fait d’être pris pour une peluche,dis-je en la rejoignant, un sourire aimable aux lèvres,mais vous devriez être plus prudente.
J'avais mis mon tee-shirt à l'envers, coutures dehors. Je le retirai et le retournai.
- Les forêts sont peu recommandables les nuits de pleine lune,ajoutai-je plus sérieusement.Qu’est-ce qui vous a amenée ici ?
A moins d’avoir des envies suicidaires, je ne voyais pas pour quelle raison cette femme se trouvait là. Je remis mon tee-shirt tout en observant l'endroit où j'aurais dû être blessé. Il n'y avait vraiment plus aucune trace de morsure.
Ce petit… Grand loup était à croquer ! Je pourrais rester un long moment comme ça à le caresser, le gratouiller, le papouiller, le câliner. J’A-D-O-R-E ! Mais toutes bonnes choses ont une fin. Il finit par se relever et je fis de même. Il disparut derrière un gros buisson. Je lui ai fait peur ? Quelqu’un lui a fait peur ? Je ne sais pas et j’avoue que je ne vois personne mais cet animal a sans doute un meilleur instinct que moi. Bon eh bien je n’ai plus qu’à reprendre ma route. Alors que je m’apprêtais à tourner les talons, un homme apparut derrière les buissons. Je sursaute presque en entendant sa voix. C’était bien un lycan et il a repris son apparence d’homme et… De plutôt bel homme. Même quand il n’est pas en loup, il est agréable à regarder. Il n’avait rien contre le fait d’être pris pour une peluche, cette remarque me fit sourire. C’était une sacrée peluche. Il ajouta que je devrais être plus prudente. Ah ça… C’est ce que mes parents n’arrêtent pas de me rabacher. Bon… Eux ils exagèrent mais lui, il avait tout à fait raison. J’ai manqué de peu de me faire dévorer ! Avant même que je n’eu le temps de dire quoi que ce soit, il retira son tee-shirt et mes yeux ne purent s’empêcher de descendre sur son torse. J’ai l’habitude de voir des hommes torse nus entre le surf et la natation c’était assez courant mais il faut dire que là, je n’avais pas pu détourner le regard. Je restai la bouche entrouverte alors qu’il remit son tee-shirt. Il dit ensuite que les forêts sont peu recommandables les nuits de pleine lune et il me demande ce qui m’a ammené ici. Je secoue la tête, détournant enfin mes yeux. God, j’ai dû avoir un regard insistant sans m’en rendre compte. J’espère qu’il n’aura rien remarquer.
A part ce lycan, mon escapade nocturne s’est plutôt bien passée !
C’est vrai, j’avais même réussi à dormir dans la forêt quelques heures sans être dérangée. Bon, ça ne sera peut-être pas suffisant pour être totalement en forme mais suffisant pour tenir. Je répondis ensuite à sa question en hésitant.
Eh bien…
Je n’aime pas mentir. Je soupire légèrement et je réponds un peu embarrassée.
Je… Je suis partie de chez moi, les prises de tête, la famille… Bref… J’ai eu besoin de m’évader… Et ensuite… Je me suis perdue…
Et je ne sais toujours pas où je suis. Je jette des coups d’oeil autour de moi. Je ne suis même pas sûre de me rappeler de quel côté je suis arrivée.
Entre être perdue ici ou chez moi… Finalement la forêt ce n’est pas si mal…
Son regard semblait s’être perdu quelque part entre mon cou et ma ceinture, et sa bouche était légèrement entrouverte, comme si elle voyait quelque chose de totalement stupéfiant. J’oubliais… Je n’étais pas en présence d’un autre lycan, ni d’une amie de chez les Audillos. J’agissais aussi naturellement que si nous nous connaissions, alors que ce n’était pas le cas. La pudeur ne faisait pas partie du vocabulaire de la meute, mais en dehors, je devais faire attention.
- A part ce lycan, mon escapade nocturne s’est plutôt bien passée !répondit la rouquine qui avait retrouvé ses esprits.
Puis, hésitante, elle soupira et ajouta :
- Je… Je suis partie de chez moi, les prises de tête, la famille… Bref… J’ai eu besoin de m’évader… Et ensuite… Je me suis perdue…
Un grand classique, si j’osais dire. Elle regarda tout autour d’elle, l’air de chercher son chemin.
- Entre être perdue ici ou chez moi… finalement, la forêt, ce n’est pas si mal…
Je hochai simplement la tête, sans trop savoir quoi lui répondre. J’avais affaire à une fugueuse. Soudain, je me mis à imaginer Janna sortir en douce de la maison pour aller se perdre en forêt. J’en eus la nausée rien que d’y penser. Visiblement, cette femme était plus âgée que ma fille mais cela n’empêchait pas le danger d’être le même.
- Votre famille va s’inquiéter, non ?ne pus-je m’empêcher de demander.
En tant que père, je me mettais forcément à la place de ceux que la demoiselle avait laissé derrière elle en prétextant des « prises de tête ». Si je me disputais avec Janna et qu’elle s’enfuyait de cette façon, peu importait la nature du conflit, je me ferais un sang d’encre.
- C’est si terrible que ça, pour vouloir vous perdre ici et jouer les casse-croûte ambulants ?
J’y allais un peu fort et m’en rendis aussitôt compte.
- Désolé…repris-je embarrassé.On ne se connait pas, je n’ai sûrement pas le droit de vous donner la moindre leçon.
Je mis mon sac sur mon dos et resserrai la sangle sur ma poitrine.
- C’est juste que… j’ai une fille et je me dis que ce serait la panique totale si elle fuguait comme vous.
Vu le peu de personnes que j'avais croisé lors de mon escapade nocturne, je me doute qu'une jeune femme se promenant seule au milieu de cette grande forêt ça ne devait pas être courant. Il faut bien une exception pour confirmer la règle non ? J'avais expliqué le pourquoi du comment et je devais passer pour une fugueuse, une adolescente qui fait sa crise. En soit ça y ressemble mais je suppose que les circonstances sont un chouilla différentes. Je suis plus âgée, je pourrais même habiter seule... Il faudrait peut-être que j'y songe un jour. Si j'exprime ça a mes parents, ils vont faire une syncope. Un bébé, voilà comment ils me voient, c'est lourd et aujourd'hui ça a été la goutte d'eau qui a fait débordé le vase. J'essaye d'être conciliante mais parfois c'est trop. L'homme exprime le fait que ma famille va s'inquiéter. Probable, très probable. Ils seraient capable de me signaler comme disparue. J'allais répondre mais sa phrase suivante me coupa nette. Ah oui... il ne mâche pas ses mots. Je le regarde comme ébahis. J'ai droit à une leçon de morale là ? En soit, vu ce qu'il vient de se passer il n'a pas tort et je ne peux lui en tenir rigueur. Il s'excuse ensuite. Effectivement, on ne se connaît pas mais il ne faut pas oublier que je suis passée à peu de chose de me faire manger. Comme le Petit Chaperon Rouge en fait... Il continua en se justifiant. Il a une fille alors... je comprends son point d3 vue et sa réaction mais il y a une différence je pense entre sa fille et moi. Peut-être l'âge déjà ? Et je suppose qu'elle n'a pas passé 12 ans de sa vie enfermée et les quatre en qui ont suivi à devoir faire le mur pour découvrir le monde extérieur. Je soupire légèrement.
Vous avez raison, ils doivent être terriblement inquiets.
Oui ça m'attriste mais s'ils ne cherchaient pas à me surproteger ça n'arriverait pas.
Si horrible, je ne sais pas mais je dirais tolérable jusqu'à un certain point et je pense que celui-ci a été atteint. En tout cas, c'est comme ça que je le ressens. Je croise mes bras sous ma poitrine. Reprenant.
J'ai une question pour vous. Est-ce que vous avez gardé votre fille enfermée pendant 12 ans sans qu'elle ne puisse une seule fois sortir de chez elle ? Et bien sûr, si elle a pu sortir les années qui suivirent ça a été uniquement en cachette sans que ses parents ne le remarquent.
C'est un bref résumé mais c'est déjà pas mal. Je ne veux pas l'ennuyer avec les détails. Je devrais peut-être lui préciser la raison de cette nuit.
Et puis bon se faire priver de sortie parce qu'on est rentré plus tard que prévu après le travail pour faire un peu de shopping et manger un bout... ça commence à faire beaucoup. J'ai 26 ans quand même...
Je soupire. Je m'enfonce peut-être, je dois passer encore plus pour une gamine. Mais quand t'as été privé du monde extérieur une grande partie de ta vie, ça fini par exploser, ça en est toxic... Je ne sais pas s'il va le comprendre.
Ça doit vous sembler ridicule comme raison de prise de tête... C'est peut-être pour ça que je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit avant... vous ?
Effectivement. Pourquoi est-ce que j'avais accepté de m'ouvrir plus à cet inconnu qu'à quelqu'un que ke cottoie depuis quelques temps comme un collègue ? Peut-être parce que cestvun inconnu et que je le reverrai sans doute jamais ? Je ne sais pas. Mais aujourd'hui, j'avais besoin que ça sorte.
- Vous avez raison, ils doivent être terriblement inquiets,dit-elle d’un ton qui me fit hésiter entre l’ironie et la sincérité.Si horrible, je ne sais pas, mais je dirais tolérable jusqu'à un certain point, et je pense que celui-ci a été atteint.
Ses yeux d’un bleu azur et brillant me transpercèrent, et elle croisa les bras sous sa poitrine.
- J'ai une question pour vous,fit-elle d’une voix rendue légèrement tremblotante d’irritation.Est-ce que vous avez gardé votre fille enfermée pendant douze ans sans qu'elle ne puisse une seule fois sortir de chez elle ?
Hein ? Qu’est-ce qu’elle me racontait là ?
- Et bien sûr, si elle a pu sortir les années qui suivirent, ça a été uniquement en cachette sans que ses parents ne le remarquent. Et puis bon, se faire priver de sortie parce qu'on est rentré plus tard que prévu après le travail pour faire un peu de shopping et manger un bout… ça commence à faire beaucoup. J'ai vingt-six ans quand même…
Elle poussa un profond soupir. J’ouvris la bouche mais la refermai, ne sachant absolument pas quoi répondre à ce monologue d'exaspération. Si je comprenais bien, et si elle disait vrai, cette femme avait passé une bonne partie de son existence privée du monde extérieur par ses parents. Qui pouvait être assez taré pour faire subir ça à son enfant ? Et dans quel but ? Ce genre de vie n’était bon ni pour les parents, ni pour les enfants. Pas étonnant que mon interlocutrice fugue. Mais après ? Parce qu’apparemment, ce n’était pas la première fois qu’elle faisait le mur. Qu’est-ce qui la poussait à rentrer chez elle au lieu de trouver une solution pour s’émanciper ? Elle disait avoir vingt-six ans. Elle avait largement l’âge de voler de ses propres ailes.
- Ça doit vous sembler ridicule comme raison de prise de tête…reprit-elle plus calmement, le regard triste à présent.C'est peut-être pour ça que je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit avant… vous ?
J’avais appris que, parfois, le fait de se confier à une personne totalement inconnue pouvait soulager la conscience. Parce que cette personne ne vous connaissait pas et ne pouvait donc pas vous juger aussi facilement qu’un proche. Il m’était arrivé de vider mon sac de cette façon, et de recevoir de bons conseils en retour. Mais moi, étais-je de bon conseil ?
- Je ne crois pas que ce soit une raison ridicule,répondis-je tout d’abord.
N’importe qui aurait envie de fuir l’étreinte abusive et toxique de ses parents, ou de qui que ce soit de trop possessif. La compassion prit le dessus. Peut-être étais-je trop gentil ou naïf de croire ce que cette femme confessait. Si ça se trouvait, elle me racontait des bobards. Mais elle n’avait pas l’air de vouloir perdre son temps avec des mensonges. Elle avait failli finir dévorée par un lycan. Mentir à un inconnu sur la raison de sa venue ici était sûrement la dernière chose qui pouvait lui passer par la tête désormais. D'autant plus qu'elle n'avait aucune raison de se justifier. Elle aurait tout aussi bien pu ne pas me répondre et s'en aller de son côté.
- Quand on se sent étouffé, c’est normal de vouloir s’éloigner.
J’avais peur de ne pas être capable de laisser Janna poursuivre sa vie loin de moi. Cependant, il ne me viendrait jamais à l’idée de la retenir, l’empêcher de réaliser ses rêves. Ce serait une sacrée épreuve à surmonter… Une main serrée sur la sangle de mon sac à dos, je me servis de l’autre pour fouiller dans la poche de mon jean. J’en sortis mon téléphone portable et vérifiai l’heure. Il était bientôt six heures.
- Euh…hésitai-je gêné par la tournure qu’avait pris la situation.Si vous voulez, je vous aide à sortir d’ici.
Je comptais rentrer chez moi. Je pouvais au moins l’aider à retrouver son chemin. Et si elle avait envie de m’en dire plus, libre à elle. Je n’étais pas fermé à la conversation.
Je ne sais pas ce que cet homme se dit dans sa tête, peut-être qu'il n'a pas écouté le blah blah d'une inconnue à peine rencontrée. Si ça se trouve il s'attendait à me sauver et point. Quoi que.. il serait parti directement dans ce cas et n'aurait pas perdu de temps à essayer de me faire comprendre qu'il ne me voulait aucun mal ni rien et puis il ne m'aurait pas demandé ce que je fais là. Je crois que je me pose trop de question. Je m'habitue à côtoyer des gens mais j'ai toujours cette peur de déranger. En tout cas je fus vite rassurée, il ne trouvait pas ma raison ridicule, il ajoute que c'est normal de vouloir s'éloigner de ce qui nous étouffe. Je ne sais pas s'il est juste poli ou quoi. En tout cas, ça m'a fait du bien de m'exprimer. A ses mots je lui avais souris et m'étais détendue. Ensuite il me proposa de m'aider à sortir d'ici. Je tressailli. Je ne travaille pas aujourd'hui et je n'ai aucune envie de rentrer chez moi, je ne suis pas prête mais je ne sais pas où je pourrais aller. Je soupire légèrement.
C'est très gentil à vous de vouloir m'aider, je vous en remercie mais... je n'ai pas envie de retourner chez moi... pas maintenant... Je ne travaille pas aujourd'hui et je sais que si je passe l'entrée...
Je détourne le regard, celui-ci devenant triste. Je sais déjà qu'ils ne me pardonneront pas cette nuit d'absence après cette dispute. C'était la première fois en quelque sorte que je fuguais ainsi.
Mais... Je n'ai aucune idée d'où je pourrais aller mais tout sauf être enfermée...
Je réfléchis à ou aller. La plage ? Trop frais. La piscine ? Je n'ai pas mes affaires. D'ailleurs tiens, on parle mais il ne sait pas comment je m'appelle.
D'ailleurs je m'appelle Harmony et je suis une ange.
Je lui souris. Je ne sais pas si ça se fait de donner sa race comme ça mais comme je sais que c'est un lycan autant qu'il sache ce que je suis aussi et il saura comme ça comment j'ai réussi à le soigner.
- C'est très gentil à vous de vouloir m'aider, je vous en remercie mais… je n'ai pas envie de retourner chez moi.
J’aurais dû m’en douter.
- Pas maintenant…rectifia-t-elle.Je ne travaille pas aujourd'hui et je sais que si je passe l'entrée…
Elle laissa sa phrase en suspens. Apparemment, elle craignait d’être mal reçue si elle retournait chez elle. Et elle avait sûrement raison. La peur de perdre son enfant à cause d’une bêtise de sa part faisait souvent place à la colère en premier lieu. Janna m’avait fait quelques frayeurs étant plus petite. Par exemple, tomber dans les escaliers parce qu’elle ne faisait pas attention où elle mettait les pieds. A ce moment-là, je n’avais pas su si je devais la gronder d’abord ou lui demander si elle allait bien. Je ne me rappelais plus dans quel ordre j’avais agi… Bref, ce n’était pas du niveau d’une fugue mais le résultat était le même. De la peur et de la colère. Dans le cas de la rouquine, cela n’arrangerait pas sa relation avec sa famille. Et malheureusement, je ne pouvais rien faire pour elle.
- Je n'ai aucune idée d'où je pourrais aller,déclara-t-elle tristement.Mais tout sauf être enfermée…
Pourtant, il faudrait bien qu’elle rentre chez elle à un moment donné, que sa famille sache qu’elle allait bien.
- D'ailleurs je m'appelle Harmony,se présenta-t-elle.Et je suis une ange.
Une… une ange ? Ҫa alors… C’était la première fois que j’en côtoyais une.
- Oh… C’est donc pour ça que vous avez su me soigner,fis-je surpris.
Je baissai automatiquement les yeux sur mon épaule auparavant blessée. Je savais que les anges avaient le don de guérir les blessures – jusqu’à quel niveau, je n’en savais rien – mais je n’en avais encore jamais bénéficié. La chaleur qui s’était répandue sur la morsure avait été appréciable. Aucun soin ne pouvait l’être autant de la part d’un autre être.
- D’ailleurs… merci,repris-je reconnaissant.
Je lui tendis ma main.
- Et vous pouvez m’appeler Meyer,me présentai-je à mon tour.
Elle la serra avec un sourire avenant. Sa peau était douce et fraîche, comme si je touchais la surface lisse d’une eau calme. Un frisson partit du creux de ma paume et remonta le long de mon bras jusqu’à ma nuque. C’était… une drôle de sensation. Pas désagréable, loin de là. Mais… très bizarre. Je brisai le contact presque à contrecœur. Était-ce à cause de la nature d’ange de cette femme ?
- Je… vous…
Je secouai légèrement la tête. Merde alors, ça m’avait perturbé.
- Je peux au moins vous empêcher de finir étripée, le temps de quitter cet endroit,proposai-je.
Ce n’était pas du tout ce que je voulais dire. Je voulais lui demander si elle ne pouvait pas tout simplement voler, puisqu’elle était une ange. Bon, tant pis. En plus, en y réfléchissant, j’aurais eu l’air irrespectueux. Peut-être se retrouvait-elle perdue ici parce que, justement, elle ne pouvait pas voler.
- Vous ne voulez pas rentrer chez vous et je ne vais pas vous y forcer, mais mieux vaut ne pas rester ici,conseillai-je.
Ça y est, les présentations sont faites. Je lui avais donné mon identité et ma race. Il comprit mieux comment j'avais réussi à le soigner. Heureusement que ça n'avait pas été une trop grosse blessure, je n'aurais peut-être pas réussi à la faire totalement disparaître. Je vais progresser avec le temps mais c'est déjà un bon début. Il me remercie donc. Je le regarde l'air de dire "attendez quoi ?" Je répondis avec un large sourire sur les lèvres.
Vous rigolez ? Cest a moi de vous remercier. C'était la moindre des choses que de vous soigner apres que vous m'ayez litteralement sauvé la vie ! Je l'avais fait de bon cœur et si c'était à refaire, je le referais. Il me tendit sa main tout en se présentant. Meyer... Je tacherais de m'en souvenir. Je serre sa main, toujours avec un grand sourire. Ça me fait toujours plaisir de faire de nouvelles rencontres, peu importe les circonstances. Je ne sais pas ce qu'il se passe mais je le sens perturbé. Mon sourire se transforme en regard intrigué.
Tout va bien ?
Il ajoute qu'il peut au moins m'aider à sortir de la et m'éviter de me faire étriper. Effectivement bon plan. Il ajoute qu'il ne veut pas me forcer à rentrer chez moi mais qu'il vaut mieux ne pas rester ici.
Ça me paraît être une bonne idée. En route alors.
Je le suis. Dommage que cette forêt soit dangereuse, elle est jolie, j'aime bien. D'ailleurs, j'espère aussi qu'il ne va pas marcher trop vite, il a de grandes jambes. Il n'y a pas que ça qui est grand d'ailleurs. Il pourra toujours me déposer à un endroit stratégique de la forêt pour que je puisse finir le trajet seule.
Au fait, si jamais vous ne voulez pas totalement sortir de la forêt ou faire autre chose ou quoi, vous pourrez toujours me laisser quand il n'y aura mlus beaucoup de trajet à faire. Je pourrais voler à ce moment là. C'est juste que je ne peux pas le faire trop longtemps, étant jeune, ça me fatigue rapidement.
Je lui souris. Il aurait très bien pu se demander pourquoi je ne me suis pas envolée pour retrouver mon chemin. Dans tous les cas, il avait une réponse. Bon... je ne sais pas trop quoi dire. Je ne sais pas si le stress de mon altercation avec le vilain lycan m'avait rendu bavarde mais je sentais ma timidité me gagner de nouveau. Je le regarde quelques instants. Essayons de discuter un peu, on a un bon bout de chemin à faire je pense.
Je... vous... vous fais faites quoi dans... Non rien...
Je regarde de nouveau devant moi. Je n'avais pas réussi à poser ma question. Peut-être va-t-il me trouver trop intrusive ? Mais ça fait du bien de parler avec quelqu'un, ça me change. Oh tiens, il commence à pleuvoir, et ça devient rapidement une averse. Mince. Par reflex, je l'attrape par la main et l'emmène en courant nous abriter sous un arbre.
Ah lala quelle idée de sortir en tee-shirt en cette periode de l'année. Vos cheveux sont tout trempés !
Dis-je en ébouriffant ses cheveux. Je prends mon manteau et lui met sur la tête.
On peut toujours faire comme ça si vous voulez reprendre la route dès maintenant. J'ai un pull donc pas de souci pour moi. Sinon on peut attendre un peu que la pluie s'arrête. Ça dépend de si vous voulez rapidement vous débarrasser de moi ou pas.
Je me mis à rire sincèrement. Un peu d'humour ne fait pas de mal.
Elle accepta et nous nous mîmes en marche. Au bout de quelques pas, elle prévint que si j’avais d’autres projets, je pouvais la laisser un peu avant la lisière de la forêt car elle se servirait de ses ailes pour faire le reste du trajet. Elle expliqua qu’elle ne pouvait pas voler très longtemps car, étant encore jeune, elle fatiguait vite. Voler… Je me demandais ce que cela faisait. L’être humain avait toujours rêvé de voler. Voir le monde en tout petit et virevolter où on voulait. Le pied ! Entre ça et être obligé de subir des transformations douloureuses tous les soirs de pleine lune, le choix était vite fait. Certaines races demeuraient mieux servies que d’autres… Mais j’exagérais. J’étais fier d’être un lycan malgré tout. Un silence s’installa entre la dénommée Harmony et moi, le temps de progresser parmi les buissons touffus et les racines pas faciles à enjamber. J’offris quelques fois ma main à la demoiselle pour l’aider à avancer. Et nous trouvâmes le sentier qui redescendait vers le parking. Il serait plus aisé de marcher, désormais.
- Non, rien…finit-elle par souffler, sans oser me regarder.
Je n’insistai pas. Mais je n’aimais pas tellement ce silence un peu gênant. Elle devait avoir envie de discuter en craignant en même temps de déranger. Il fallait dire qu’avec ma tête peu avenante, ça ne donnait pas forcément envie. Je devais vraiment cesser d’avoir l’air de faire la gueule en permanence… Il s’écoula une bonne quinzaine de minutes sans conversation. Tout ce que je disais, c’était parfois « attention » ou « par là » pour guider la jeune femme. Le jour se levait peu à peu, mais pas le soleil. A la place, un ciel gris menaçait de pleuvoir. Les premières gouttes ne tardèrent pas à tomber. Et bientôt, ce fut une véritable averse. Merde, et je ne voyais aucun endroit où nous abriter. Je regardai autour de moi, tentant de repérer l’arbre le plus fourni dont le feuillage nous permettrait de rester au sec. Tant qu’il n’y avait pas d’orage, c’était jouable. La main d’Harmony saisit soudain la mienne, et elle m’entraîna un peu plus loin. Nous nous arrêtâmes entre deux énormes pins aux nombreuses branches épineuses. Dessous, le sol semblait sec, la pluie ne parvenait pas à passer au travers.
- Ahlala, quelle idée de sortir en tee-shirt en cette période de l'année,fit Harmony en me regardant.Vos cheveux sont tout trempés !
Elle retira son manteau et me le jeta sur la tête. Ah.
- On peut toujours faire comme ça si vous voulez reprendre la route dès maintenant,dit-elle.J'ai un pull donc pas de souci pour moi. Sinon, on peut attendre un peu que la pluie s'arrête. Ça dépend de si vous voulez rapidement vous débarrasser de moi ou pas.
Elle rit, je soufflai par le nez avec un sourire en coin. Et j’enlevai le manteau de ma tête, avant de passer ma main dans mes cheveux pour les replaquer vers l’arrière.
- Je suis un lycan, je n’ai pas froid et je tombe rarement malade,répondis-je.Ne vous en faites pas.
Sur ce, je lui remis son manteau sur les épaules.
- Je pense qu’il est préférable d’attendre que ça se calme un peu,suggérai-je en observant les alentours.Je n’ai rien de prévu, je ne suis pas pressé,ajoutai-je avant que la rouquine demande si cela me dérangeait.
Pour appuyer mes dires, je m’assis au pied du pin le plus gros et m’adossai au tronc. D’un signe de la main, j’invitai Harmony à me rejoindre. Et je fouillai dans mon sac à dos.
- Vous avez de la chance, je crois qu’il me reste du café,déclarai-je en sortant un thermos et deux gobelets.Vous en voulez ?
En général, je prenais de quoi boire et manger quand j’allais camper, seul ou avec Janna. Mais pas lors de mes escapades nocturnes à la pleine lune. Toutefois, un thermos de café, c’était le minimum vital.
Quelle pluie ! Un peu plus et on aurait pris une douche naturelle. Il était en tee-shirt et gentiment j’avais posé mon manteau sur sa tête pour le couvrir. Il l'enlève en me disant qu’il est lycan donc qu’il n’a pas froid et qu’il tombe rarement malade. Ah. Bon d’accord. Bon… De toute façon, l'arbre que j’ai choisi a l’air de bien nous protéger alors… Il me posa donc mon manteau sur les épaules et je le renfile. Il ajoute qu’il est préférable d’attendre et qu’il n’a rien de prévu aujourd’hui. Bon très bien. Ça me va, il est de plutôt bonne compagnie. Il s’assoit de sa main, il m’invite à faire de même et c’est ce que je fis. Il me propose du café. Mince, je n’aime pas ça mais ce serait impoli de refuser ? Si je n’aime pas et que je recrache… C’est pas mieux. Hum… Que faire. Bon allez, peut-être que je vais apprécier quand même ? Bon allez, essayons.
Je veux bien s’il vous plaît.
Dis-je en souriant. Comme lui, je n’ai rien de prévu aujourd’hui.
Je n’ai rien de prévu non plus. Du coup on peut s’ennuyer ensemble. De toute façon c’est ce que la météo a prévu pour nous on dirait.
Le ciel est bien sombre, ça a l’air d’être parti pour durer. En fait… Ça ne me dérange pas, je devrais presque remercier cette pluie. Cela nous permettra peut-être de faire plus ample connaissance. Je ne dis pas non à un peu de compagnie.
D’ailleurs vous pouvez me tutoyer ! Je ne suis pas si vieille et puis ce sera plus sympa.
Dis-je toujours en souriant, récupérant le gobelet de café. Je le porte à mes lèvres et bois une gorgée. C’est toujours aussi amer… Essayer de ne rien laisser paraître sur mon visage… Compliqué. Mes sourcils se froncent légèrement. Maintenant que j’ai accepté, il va bien falloir que j’arrive au bout de ce gobelet. Bon… Si je bois quelques gorgées tout en discutant, ça devrait mieux passer.
Et du coup… Comme on a un peu de temps à tuer, autant s’occuper. Que faites-vous dans la vie ? Je suis institutrice en école maternelle pour ma part. Si jamais je pose une question qui vous embarrasse, vous me le dites surtout.
Ah lala, la vie de famille, être en couple, avoir son enfant, c’est beau quand même.
Et vous avez une fille aussi, elle a quel âge ? Avoir un enfant, vivre avec sa femme, ça doit être bien. Je ne connais pas tout ça.
Dis-je en regardant devant moi, un peu rêveuse. J’espère que quand j’aurais des enfants je ne serais pas aussi fermée que mes parents mais il paraît que l’on a tendance, de manière consciente ou non, à reproduire le schéma de nos parents.
Elle répondit par l'affirmative. Je remplis les deux gobelets et lui en donnai un.
- Je n’ai rien de prévu non plus,dit-elle.Du coup, on peut s’ennuyer ensemble. De toute façon, c’est ce que la météo a prévu pour nous, on dirait.
Je hochai la tête, bus une gorgée de café bien chaud.
- D’ailleurs, vous pouvez me tutoyer ! Je ne suis pas si vieille et puis ce sera plus sympa.
Quelques années auparavant, ça m’aurait dérangé. Encore bien trop abattu par la disparition de Mary, et incertain quant à mes nouvelles rencontres, j’avais eu beaucoup de mal à me persuader que si j’avais perdu l’amour, cela ne voulait pas dire que je devais repousser l’amitié. Il m’avait fallu deux ans pour faire mon deuil, dès que son assassin fut mis derrière les barreaux. Ces deux années furent remplies de questionnements et de doutes, mélangés de regrets, de haine et de culpabilité. Aujourd’hui, j’étais libéré de tous ces mauvais sentiments, et toujours content de faire de nouvelles rencontres. A première vue, Harmony semblait être quelqu’un de sympathique et agréable à côtoyer. Alors la tutoyer, pourquoi pas. Et cette pause au milieu de la forêt offrait une opportunité inattendue d’en apprendre plus l’un sur l’autre.
- Et du coup… Comme on a un peu de temps à tuer, autant s’occuper,reprit la rouquine en écho à mes pensées.Que faites-vous dans la vie ? Je suis institutrice en école maternelle, pour ma part.
Elle ajouta que si jamais elle posait une question embarrassante, je devais le lui dire.
- Et vous avez une fille aussi, elle a quel âge ?poursuivit-elle visiblement bien lancée.Avoir un enfant, vivre avec sa femme, ça doit être bien. Je ne connais pas tout ça.
Elle était sacrément bavarde pour quelqu’un qui n’osait rien dire tout à l’heure. Elle me faisait penser à Janna quand je la présentais à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas encore. Timide au début, et après, on ne l’arrêtait plus ! Je ricanai, pris le temps de savourer encore un peu de café.
- Je suis Thanatopracteur, et j’enseigne aussi la boxe thaïlandaise dans un club en ville,répondis-je.Ma fille va bientôt avoir quatorze ans. Une vraie pipelette, comme toi,ajoutai-je taquin.Vous vous entendriez bien.
Je ris franchement en la voyant rougir d’embarras.
- Toi aussi, tu connaîtras la vie de famille un jour,continuai-je en haussant les épaules.Il n’y a pas de raison pour que ça n’arrive pas. J’ai mis du temps. J’avais cent-neuf ans quand je me suis marié.
Malgré la pluie, le cadre était plutôt sympa pour faire connaissance. Le seul bruit que l’on entendait était les gouttes qui tombaient à travers les branches. Il y avait quelque chose d’assez apaisant. J’avais posé quelques questions à Meyer notamment concernant son travail. Il était Thanatopracteur. J’ouvre des yeux assez surpris, je ne l’imaginais pas faire ça. Il côtoie la mort tous les jours. C’est assez triste finalement et beau à la fois. On a besoin de personnes qui fassent ces métiers-là. Pour ma part, je n’en serais pas capable. Il ajoute qu’il enseigne la boxe thaïlandaise dans un club, pour le coup ça m’étonne moins que son premier métier. Il me dit aussi que sa fille va avoir quatorze ans et que c’est une pipelette comme moi. Cela me fit sourire.
Thanatopracteur… Je ne serais pas capable de faire ce métier… Vous cotoyez la mort chaque jour finalement. Vous êtes fort je trouve. Je ne vous imaginais pas faire ça, par contre je vous vois bien enseigner la boxe.
Dis-je avec un petit rire.
Je ne me pensais pas si pipelette mais je suppose que passer des heures en classe à enseigner avec les enfants doit aider. Et puis, j’ai quelques années à rattraper. Votre fille doit être très sympathique.
Dis-je sur le ton de l’humour. Comme on dit, il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Je repris quelques gorgées de café. Ce n’était vraiment pas ma tasse de thé ! Je me retenais de faire la grimace. En parlant de famille, il me dit que moi aussi je connaîtrais la vie de famille à mon tour et il ajoute qu’il a lui même mis du temps. Il avait 109 ans quand il s’est marié. Je manque de m’étouffer. C’est vrai que beaucoup de surnaturels ne font pas leur âge. Physiquement, il fait quarante ans, à peu près. Ce qu’il me dit me donne un peu d’espoir avant que la réalité ne me rattrape. Je soupire, remontant mes genoux vers ma poitrine.
Oula… Je suis bien loin de tout ça…
Le regard un peu triste, j’étais à la fois triste et agacée.
C’est déjà difficile de se faire des amis alors laisser place à l’amour… Si, quand mes parents auront trouvé quelqu’un qu’ils ont eux-même choisi, un ange bien évidemment. Je n’ose imaginer si c’est quelqu’un d’une autre race, mon dieu… Si ce n’est pas un mariage d’amour, non merci. Mais bon, c’est comme-ci on me demandait mon avis.
Je soupire une nouvelle fois. Je sens une sorte de colère monter.
Elle fit remarquer – comme beaucoup de gens à qui j’en parlais – qu’elle ne serait pas capable d’exercer mon métier.
- Vous côtoyez la mort chaque jour, finalement. Vous êtes fort, je trouve. Je ne vous imaginais pas faire ça. Par contre, je vous vois bien enseigner la boxe.
Elle rit.
- Je ne me pensais pas si pipelette mais je suppose que passer des heures en classe à enseigner avec les enfants doit aider. Et puis, j’ai quelques années à rattraper. Votre fille doit être très sympathique.
Je hochai la tête avec un sourire, puis levai les yeux vers le ciel. La pluie s’intensifiait un peu mais nous restâmes à l’abri. Je me demandais combien de temps nous allions devoir attendre avant de pouvoir poursuivre notre chemin. Un silence s’installa entre nous, seulement rompu par les gouttes d’eau qui venaient s’écraser sur le feuillage des arbres et le sol parsemé de mousse et d’aiguilles de pin. Quand je baissai la tête, Harmony paraissait soudain morose. J’allais demander ce qui n’allait pas mais elle prit la parole avant moi.
- C’est déjà difficile de se faire des amis alors laisser place à l’amour…
Je ne me serais jamais imaginé tomber amoureux, me marier et avoir un enfant avant de rencontrer Mary. Mais peut-être doutait-elle parce que ses parents ne la laissaient pas agir comme elle l’entendait.
- Si,dit-elle finalement d’un ton agacé.Quand mes parents auront trouvé quelqu’un qu’ils ont eux-mêmes choisi, un ange bien évidemment.
Ah bon.
- Je n’ose imaginer si c’est quelqu’un d’une autre race, mon dieu…
Ça me rappelait des souvenirs…
- Si ce n’est pas un mariage d’amour, non merci. Mais bon, c’est pas comme-ci on me demandait mon avis.
Elle soupira.
- Je ne suis pas le premier prix d’une tombola !s’exclama-t-elle visiblement remontée.
Je terminai mon café et posai le gobelet par terre, à côté du thermos.
- A ce point-là…ne pus-je m’empêcher de commenter, un poil irrité par ce que je venais d’apprendre.
Nos regards se croisèrent.
- Pardon mais… J’ai du mal à cautionner ce genre d’étroitesse d’esprit,déclarai-je en espérant qu’elle ne le prenne pas mal.J’ai dû moi-même prouver à ma belle-mère humaine que les surnaturels ne sont pas tous des monstres.
Ce fut à mon tour de soupirer.
- Je peux t’assurer que ça n’a pas été une partie de plaisir… Et encore, j’ai eu de la « chance »,ajoutai-je en faisant les guillemets avec les doigts sur ce dernier mot.J’ai été épargné de beau-père.
Devant son regard interrogateur, je m’expliquai.
- Quand j’ai rencontré ma femme, son père venait de décéder. C’est moi qui l’ai embaumé. Enfin bref… Tout ça pour dire que je n’arrive pas à comprendre cet état d’esprit. Il y a des lycans complètement sauvages et barges, qui bouffent de la viande crue, et même des gens vivants. Mais on n’est pas tous comme ça…
Harmony venait d’évoquer un sujet sensible sur lequel je ne m’étais plus questionné depuis longtemps. C’était aujourd’hui toujours aussi vexant et dérangeant de constater que les préjugés sur les surnaturels demeuraient encore dans les esprits.
- Ҫa ne me regarde pas mais j’espère pour toi que tes parents vont revoir leur jugement,fis-je en fouillant de nouveau dans mon sac.
Je trouvai des barres de céréales, en lançai une à la rouquine. Quand je me sentais agacé, il fallait que je mange.
Plus le temps passait, plus je m’ouvrais à Meyer, cet inconnu rencontré il y a moins d’une heure. Cela me faisait beaucoup de bien et d’une certaine façon, j’ai l’impression qu’il accueille mes sentiments. Je n’ai pas vraiment l’impression de l’agacer, ça ce serait ressenti dans ses réactions ou ses paroles. J’avais évoqué la vision de mes parents concernant les relations, l’amour et le mariage et je n’avais pu m’empêcher de montrer mon agacement. “A ce point-là” commenta Meyer. Je le sens irrité, presque autant que moi. Mon regard se tourna vers lui, comme si j’attendais une suite à ses propos et celle-ci arriva rapidement. Il a dû mal avec ce genre d’étroitesse d’esprit et je ne peux que le comprendre. Je le subis depuis ma naissance, je suis sur protégée à cause de ça. Si j’avais écouté mes parents, je ne serais pas en train de discuter avec un lycan à l’heure actuelle. Il évoqua le passé avec sa belle-mère, qu’il avait dû faire de pieds et des mains pour la convaincre que non, tous les surnaturels ne sont pas mauvais. Effectivement… Et c’est ce que notre société doit encore apprendre… Il me dit qu’il a été épargné du beau-père, je le regarde sans comprendre, me posant des questions. La réponse arrive ensuite. Je reste silencieuse, l’écoutant. J’accueille à mon tour ses sentiments. Je sens une certaine nostalgie et une certaine tristesse. Je nous avais lancé sur un sujet sensible autant pour lui que pour moi. Pour conclure il me dit qu’il espère que mes parents vont revoir leur jugement. Avant de répondre, je me retrouve avec une barre de céréale sur les jambes. Oh trop bien.
Eh bien… Pas évident tout ça non plus pour vous…
Je le regarde tristement. D’une certaine façon on est lié. Devoir prouver aux autres que tout le monde n’est pas méchant, que les autres surnaturels peuvent aussi être des gens biens.
Si j’avais écouté mes parents, je ne serais pas en train de vous parler. Heureusement que j’ai appris à me faire mon propre avis et à ne pas écouter les “on dit”. En tout cas, vous, vous ne me faites pas peur et vous êtes loin d’être comme mes parents me l’ont décris depuis toute petite. C’est là que je suis heureuse de pas avoir pris pour acquis l’avis de mes parents.
Je lui souris gentiment. C’est peut-être bête, mais je suis contente de ne pas m’être fait influencée.
J’espère aussi qu’ils reverront leur jugement. Je plains celui qui devra faire comme vous l’avez fait pour votre femme et… J’espère un jour rencontrer quelqu’un qui m’aimera aussi fort pour se lancer dans cette lutte. Comme on dit, l’amour vient à bout de tous les obstacles.
Je garde ce sourire sur mes lèvres, pleine d’espoir. J’ouvre ensuite l’emballage de la barre de céréales.
En attendant, quitte à passer pour une adolescente rebelle, je continuerais à me battre pour… Pour juste vivre en fait, pour ma liberté, mes rêves et mon bonheur. Si je dois encore me disputer avec eux, je le ferais, si je dois encore m’enfuir, c’est pareil. Et… Et si rien ne change alors… Je partirais, sans me retourner et ce sera tant pis pour eux.
Dis-je déterminé bien qu’un peu triste quand même. Je croque finalement dans cette barre de céréales.
Bon, j’espère qu’on n’en arrivera pas là… Au pire je dormirais sous une tente. Bon je n’ai jamais fait de camping mais ça a l’air amusant.
D’une certaine façon, j’ai essayé de mettre un peu plus de gaieté dans notre conversation. Je ne sais pas si ça a marché mais j’aurais essayé au moins.
Elle la réceptionna, le regard triste et compatissant.
- Si j’avais écouté mes parents, je ne serais pas en train de vous parler,répondit-elle.Heureusement que j’ai appris à me faire mon propre avis et à ne pas écouter les « on dit ». En tout cas, vous, vous ne me faites pas peur et vous êtes loin d’être comme mes parents me l’ont décrit depuis toute petite. C’est là que je suis heureuse de ne pas avoir pris pour acquis l’avis de mes parents.
Ne pas écouter les « on dit », d’accord, mais pas plus tard qu’il y avait quelques minutes, elle avait failli se faire dévorer par un lycan bien moins amical que moi. Mieux valait rester prudent. Et c'était aussi valable face à un simple être humain. La monstruosité pouvait se cacher chez n’importe qui.
- J’espère aussi qu’ils reverront leur jugement,poursuivit Harmony.Je plains celui qui devra faire comme vous l’avez fait pour votre femme et… J’espère un jour rencontrer quelqu’un qui m’aimera aussi fort pour se lancer dans cette lutte. Comme on dit, l’amour vient à bout de tous les obstacles.
Elle n’imaginait pas à quel point elle avait raison. J’avais fait des choses que je n’aurais jamais pensé accomplir à l’époque où je ne vivais que pour moi. Pour Mary, pour Janna, j’étais prêt à tout, à donner tout ce que je possédais, à mourir. Tout en ouvrant l’emballage de sa barre de céréales – j’avais déjà englouti la mienne – mon interlocutrice ajouta que, quitte à passer pour une adolescente rebelle, elle continuerait de se battre pour sa liberté, ses rêves et son bonheur. Que si elle devait encore se disputer avec ses parents, elle le ferait, tout comme elle s’enfuirait encore si cela s’avérait nécessaire.
- Et… Et si rien ne change alors… Je partirai sans me retourner et ce sera tant pis pour eux.
Elle prit une bouchée de céréales.
- Bon, j’espère qu’on n’en arrivera pas là… Au pire, je dormirai sous une tente. Bon, je n’ai jamais fait de camping mais ça a l’air amusant.
Je hochai la tête, partagé entre l’amusement et l’inquiétude.
- Ce n’est quand même pas une vie,commentai-je en me servant un nouveau gobelet de café.Être prisonnière ou à la rue, difficile de dire ce qui est le plus supportable.
Je réfléchis, repris.
- Enfin, prisonnière… J’imagine que tu as de la chance de pouvoir sortir à l’air libre pour aller bosser. Tu n’es pas non plus complètement séquestrée. Je ne donne pas raison à tes parents,ajoutai-je avant qu’Harmony puisse protester.Mais tu devrais t’estimer chanceuse, même si c’est difficile.
Je me grattai l’arrière de la tête, un peu embarrassé.
- Désolé, je ne veux pas avoir l’air de donner des leçons. J’essaye de voir le côté positif de ta situation malgré tout.
D’accord, ce n’était pas facile mais au moins, même si les horaires étaient stricts, elle pouvait toujours aller se promener en dehors de chez elle. Il y avait pire comme situation.
Meyer restait attentifs à chacun de mes dires. Ça fait du bien de se sentir écoutée même si c’est pas un inconnu, ou plutôt une nouvelle connaissance pour le coup. Ses réponses ne sont pas toujours celles auxquelles je m’attends mais je ne demande pas à ce que l’on soit d’accord avec moi, un regard le plus objectif possible comme il le fait me va bien mieux. C’est notamment le cas quand il me dit que ce n’est pas une vie que de partir, entre la rue où être prisonnière, pas évident de dire ce qui est le mieux. De plus, il ajoute le fait que je peux quand même sortir de chez moi. Vu comme ça, il n’a pas tort mais encore une fois, si j’ai pu en arriver là, c’est parce que j’ai désobéi. Je dois passer pour bien capricieuse mais je dois admettre qu’il y a une part de raison. J’ai voulu protester mais comme il le dit, j’ai quand même un peu de chance. Effectivement, j’ai réussi à obtenir un peu plus de liberté. Je réfléchis quelque instants alors qu’il s’excuse, ne voulant pas passer pour quelqu’un qui veut me donner de leçon. Je secoue la tête à la négative tout en lui souriant.
Vous… heu… Je peux vous tutoyer ? J’ai dû mal à le faire tant que l’on ne m’a pas dit de le faire. Vu que la pluie a dû mal à s’arrêter, autant discuter et ça ai l’air un peu moins formel si ça vous va.
Avec son accord, je me mets enfin à le tutoyer. Peut-être que pour lui ça tombait sous le sens.
En soit tu as raison. Comme j’ai la tête plongée dans ma situation, c’est difficile d’être objective alors avoir un regard extérieur est bon à prendre. Par contre, cette liberté de sortir de chez moi, je l’ai eu parce que je me suis obstiné à ne pas vouloir rester bien sagement à la maison. A l’heure actuelle, je serais sûrement encore bloquée entre quatre murs si je n’étais pas sortie de mon propre chef.
Je marque une petite pause, réfléchissant tout en finissant ma barre de céréales. Je reprends ensuite.
Je retiens plusieurs choses de cette nuit et de ce début de matinée. Tout le monde n’est pas mauvais mais il y a tout de même de sacrés prédateurs et pas toutes les autres races comme le sous-entendaient mes parents. Je dois rester prudente tout en continuant de profiter de la vie et prendre en compte le fait que mes parents ont quand même fait l’effort de m’accorder plus de libertés. Je suppose que ce doit être un grand pas pour eux. Mais… Je suis désolée, je vais quand même avoir dû mal à m’en contenter.
Je me recroqueville légèrement, la pluie n’a pas l’air de vouloir s’arrêter, il y a pas mal d’humidité dans l’air et en plus il y a un peu de vent. Je commence à avoir un peu froid. Je me frotte les mains. Quelques gouttes passent à travers les branches, je crois qu’il y a trop d’eau pour que l’arbre puisse nous abriter complètement.
Quel temps… Ah oui, dernière chose que je retiens, j’ai quand même rencontré quelqu’un et j’ai pris beaucoup de plaisir à discuter avec.
Je lui fis un clin d'œil. J’aimerais bien rester en contact avec lui mais à l’heure actuelle, je n’ai ni téléphone ni rien. Bon, tant pis, on verra bien.
Apparemment, mes paroles avaient eu un impact car elle réfléchissait. Elle demanda d’abord si elle pouvait me tutoyer à son tour, car elle n’y arrivait pas tant que je ne l'avais pas autorisée à le faire. J’acquiesçai. Elle me dit que j’avais raison, et qu’elle peinait à être objective vis-à-vis de ce qu’elle vivait. De ce fait, un avis extérieur comptait beaucoup pour elle. J’ignorais si le mien demeurait pertinent mais je ne dis rien.
- Par contre, cette liberté de sortir de chez moi, je l’ai eu parce que je me suis obstinée à ne pas vouloir rester bien sagement à la maison,fit-elle remarquer.A l’heure actuelle, je serais sûrement encore bloquée entre quatre murs si je n’étais pas sortie de mon propre chef.
Elle termina sa barre de céréales tandis que je sirotais mon café. Elle reprit la parole, déclarant qu’elle retenait plusieurs choses de ce début de matinée : tout le monde n’était pas mauvais mais les prédateurs existaient. La prudence était de mise, sans tomber dans la paranoïa, afin de profiter de la vie.
- Et prendre en compte le fait que mes parents ont quand même fait l’effort de m’accorder plus de libertés.
C’était bien de le reconnaître.
- Je suppose que ce doit être un grand pas pour eux. Mais… Je suis désolée, je vais quand même avoir dû mal à m’en contenter.
Alors il ne lui restait plus qu’à se donner les moyens de quitter le nid. Avec des parents possessifs – c’était mon ressenti – je ne voyais pas par quel autre moyen elle pouvait s’en sortir. Un nouveau silence tomba. Harmony se recroquevilla, frissonnante, et se frotta les mains dans une tentative vaine de se réchauffer. Même si la pluie diminuait un peu, le vent se levait, et les gouttes d’eau parvenaient à se faufiler en biais pour venir nous mouiller. Il allait falloir bouger d’ici.
- Ah oui, dernière chose que je retiens, j’ai quand même rencontré quelqu’un et j’ai pris beaucoup de plaisir à discuter avec,dit-elle gaiement.
Nous échangeâmes un sourire. Sa gentillesse me faisait penser à Akira. Mais son visage faisait plus femme que la blondinette qui, du haut de ses vingt-six ans également, semblait garder une apparence enfantine. Après avoir rangé le thermos et les gobelets dans mon sac à dos, je me levai tout en fouillant une troisième fois dedans. J’en retirai un sweat à capuche zippé que je donnai à Harmony.
- Quitte à prendre la pluie, on ferait mieux de continuer,proposai-je.Mets ça, tu te gèleras moins.
Je regardai autour de moi, repérai le sentier que nous avions quitté pour venir nous abriter ici. Et je fis signe à la demoiselle de me suivre.
La fraîcheur des gouttes de pluie, le vent glacial qui s'immisçait à travers les feuillage venait me transpercer. Je l’avais cherché en partant pour la nuit sans aucune affaire à part les vêtements que j’avais déjà sur moi. Et encore, heureusement que j’avais mon manteau. Bon, je retiens d’avoir quand même un téléphone sur moi pour une prochaine escapade, on ne sait jamais. Si je n’avais pas rencontré Meyer, bon déjà je serais dévorée mais si on oublie ce petit -gros- détail, avec un téléphone j’aurai pu appeler des secours ou quelque chose comme ça. Loin de moi l’idée de vouloir me plaindre du froid mais il semblerait que ça se soit vu sur mon visage. Meyer propose de continuer notre chemin tout en me tendant une veste. Et dire que lui il est en tee-shirt. Je sais, c’est un lycan et c’est normal mais j’avoue que ça me parait surréaliste.
Oui, faisons ça et merci.
J’enfile la veste par-dessus mon manteau. Je dois avoir un look D’E–N-F-E-R.
C’est vrai que t’es quand même sacrément grand. Je pourrais faire ta taille en déployant mes ailes et en s'élevant dans les airs ou… En grimpant à un arbre. Ca doit être pratique dans un bain de foule.
Dis-je en rigolant, suivant ses pas. On continue de marcher plusieurs minutes, je ne sais combien de temps mais suffisamment pour être mouillé de la tête aux pieds. Une vraie douche ! Au bout du chemin, on arrive face à la voiture de Meyer. Ah. Nos chemins vont sûrement se séparer ici. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu'il me demande si je vais rentrer chez moi. J’hésite mais l’envie n’est pas franchement là. Je sais que quand je rentrerai ça va être encore des cris, disputes et compagnie et ce n’est pas motivant. Je hoche alors la tête à la négative. Je soupire légèrement.
Non… Je sais déjà comment ça va se passer, réprimandes sur réprimandes… Même si j’avoue qu’une douche bien chaude et des vêtements secs me plairaient pas mal mais… Je peux attendre ce soir je pense.
Si je n’ai pas chopé mal entre temps mais ça devrait aller. Je pense être assez résistante.
Elle me remercia, enfila le sweat et marcha sur mes pas. En observant le vêtement qui lui descendait presque en bas des cuisses, elle commenta le fait que j’étais sacrément grand, et qu’elle pourrait faire ma taille en s’élevant dans les airs ou en grimpant à un arbre. A peine exagéré !
- Ҫa doit être pratique dans un bain de foule,rit-elle.
Cela avait un certain avantage, en effet. Mais j'étais aussi plus facilement repérable, ce qui demeurait plus embêtant quand je voulais rester discret. Notre progression jusqu’au parking où était garée ma voiture fut longue. Et lorsque nous y parvînmes enfin, nous étions complètement trempés. Personnellement, je m’en fichais un peu, ça ne me dérangeait pas. Harmony, par contre, risquait d’attraper un beau rhume… Après avoir déverrouillé le véhicule, je me tournai vers la demoiselle et lui demandai, avec l’espoir de ne pas faire face à des protestations, si elle voulait que je la ramène chez elle. Même si elle détestait y être, il demeurait plus prudent de rentrer à présent. Cependant, comme je m’y attendais, elle refusa, prétextant ne pas vouloir subir les réprimandes. Elle y aurait bien droit à un moment, elle ne pouvait pas y échapper.
- Même si j’avoue qu’une douche bien chaude et des vêtements secs me plairaient pas mal mais… Je peux attendre ce soir, je pense.
Je soupirai, réfléchis. Mon regard passa de la voiture à Harmony puis à la lisière de la forêt, avant de revenir sur la jeune femme.
- Bon, je te propose un truc.
Elle me regarda, mi intéressée, mi anxieuse.
- Tu me laisses te ramener chez toi. Attends, j’ai pas fini,fis-je alors qu’elle commençait à ouvrir la bouche.Si tu acceptes de rentrer sagement, je t’emmène camper la prochaine fois qu’on se voit.
Je ne savais absolument pas pourquoi je faisais cette proposition. Je pouvais tout aussi bien laisser Harmony se débrouiller, continuer ma route et ne plus m’en soucier. Mais pour le peu que je connaissais d’elle, son manque d’expérience dans le monde extérieur, et l’imprudence qui en découlait me poussaient à vouloir m’assurer de sa sécurité. Me voilà encore en train de jouer au bon samaritain. A force, je finirais par m’oublier… J’ouvris la BMW et dégotai l’une de mes cartes professionnelles que je gardais dans la boîte à gants. J’en donnai une à la rouquine et repris.
- Mon numéro est dessus,indiquai-je.
Je croisai les bras.
- Alors ?m’enquis-je en plantant mon regard dans le sien.Qu’est-ce que tu décides ?
Mon envie de rentrer est peu présente. J’aime bien vagabonder à droite à gauche. Bon… Pour le coup il serait plus sage de rentrer mais j’ai dû mal à m’en convaincre. Je continuais de peser le pour et le contre quand Meyer voulut me proposer quelque chose. Je le regarde dans les yeux, l'air interrogateur. Je veux savoir mais je suis un peu inquiète de sa proposition. Il commence par me parler de me ramener chez moi. Je m’apprêtai déjà à protester mais il me stoppa sans qu’un mot ne soit sorti d’entre mes lèvres. Si j’accepte, il m’emmènera camper. Vraiment ?! J’ouvris de grands yeux. La proposition est alléchante mais… Est-ce que ça ne serait pas une entourloupe ? Il me tend finalement sa carte avec son numéro dessus. Carte professionnelle qui plus est. Donc il a l’air sérieux. Je le saurais bien assez tôt, pour du camping, je veux bien prendre le risque. Il me demande alors ce que je décide. Je regarde la carte fixement quelques secondes avant de relever mes yeux vers les siens.
Carrément ! Je n’en ai jamais fait et j’ai toujours voulu en faire. Et là, je n’aurais pas à m’inquiéter niveau sécurité comme ça !
J’affiche un grand sourire sur mes lèvres, les yeux presque pétillants. Après quoi, je monte dans sa voiture côté passager. Je lui indique mon adresse. Je redoute l’altercation avec mes parents mais de toute façon ça aurait bien fini par arriver tôt ou tard. Le trajet jusqu’à chez moi n’est pas très long. On est abriter de la pluie en plus comme ça, et au chaud. Lorsqu’il me redépose devant chez moi, je lui rends sa veste à zip.
Merci beaucoup pour tout ça. Je t’envoie un message dès que j’ai la main sur mon téléphone. J’ai hâte pour le camping du coup. Bonne journée à toi !
Je le salue de la main avant de refermer la porte de la voiture. Après quoi, j’attends qu’il ait démarré avant de rentrer chez moi pour être sûre que mes parents ne le voient pas et ne m’assènent pas de question et que lui n’ont plus n’y ai pas droit. En passant la porte, j’ai le droit à quelques réprimandes, on se prend la tête cinq minutes puis je prends mes achats et mon sac que j’avais laissé la veille dans l’entrée avant d’aller dans ma chambre puis de me prendre une petite douche et ensuite vaquer à mes occupations.
Elle baissa les yeux sur la carte et me regarda de nouveau.
- Carrément ! Je n’en ai jamais fait et j’ai toujours voulu en faire,répondit-elle enjouée.Et là, je n’aurai pas à m’inquiéter niveau sécurité comme ça !
Si notre prochaine rencontre pouvait se faire hors d’une nuit de pleine lune, le danger serait amoindri. Et de toute façon, comme elle le faisait si justement remarquer, elle ne craignait rien tant qu’elle restait avec moi. Apparemment très contente de ma proposition, elle me sourit de toutes ses dents et fit le tour de la voiture pour aller s’installer côté passager. Je m’assis au volant et démarrai. Le trajet fut assez court, elle ne vivait pas très loin de l’Angeles National Forest. Nous ne parlâmes pas beaucoup, elle m’indiquait surtout le chemin à prendre. Si nous nous revoyions réellement pour une nuit de camping, nous aurions l’occasion de mieux discuter. Néanmoins, j’avais un léger doute quant au fait qu’Harmony voulait me revoir. Après tout, je restais un parfait inconnu, et mon idée de camper tous les deux alors que nous nous connaissions à peine était un peu bizarre, il fallait l’avouer. Je l’avais sauvée mais rien ne lui garantissait que je demeurais une bonne personne. Ma tête n’inspirait pas tellement la confiance… A sa place, je me serais davantage méfié. Je comprenais ce désir de certaines personnes de vouloir nouer de nouveaux liens, être très avenantes et ouvertes. Mais je ne pouvais m’empêcher de les trouver imprudentes face à la dangerosité de notre monde. Bientôt, je m’arrêtai devant chez la rouquine. C’était une maison à l’apparence modeste avec un jardin et une allée bien entretenus.
- Merci beaucoup pour tout ça,dit la demoiselle en me rendant mon sweat.Je t’envoie un message dès que j’ai la main sur mon téléphone. J’ai hâte pour le camping, du coup. Bonne journée à toi ! - Merci, à toi aussi.
Elle sortit de la voiture et me salua de la main, avant de s’éloigner. Je ne m’attardai pas plus longtemps et repartis. J’avais besoin d’une bonne douche avant d’aller dormir un peu.
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