La boxe, le manoir et l’hôpital furent ma dernière sortie. J’avais retrouvé ma prison dorée dont j’aimerais m'échapper mais je ne peux pas. Il faut dire que mes parents étaient furieux après moi ce soir-là. Ma jambe se rétablit doucement mais j’ai toujours mon attelle. J’ai aussi mes béquilles à porter de main mais je peux me déplacer sans si ce n’est pas trop long. Ça devrait bientôt être fini. Mais pour le moment je suis consignée à la maison, en arrêt de travail, je ne peux même pas sortir pour aller travailler. Ça me manque…
Meyer… Il est parti. C’est normal. Qui à sa place n’aurait pas fui ? Personne. Après ça, j’ai eu droit à de nouvelles réprimandes et c’est dans un silence de mort que nous sommes rentrés à la maison. J’ai pris une bonne douche, je me suis mise en pyjama et je suis allée au lit. Je n’ai même pas pu dire au revoir à Meyer, ni même lui envoyer un message; Est-ce qu’il a cherché à me contacter ? Est-ce que je le reverrai un jour ? Je n’en ai pas la moindre idée. Telle une adolescente, j’ai été privée de mon téléphone, de mon ordinateur. Je n’ai aucun moyen de le contacter. Je verrai bien. Seul l’avenir nous le dira. A l’heure actuelle, ma seule porte vers le monde extérieur, c’est ma fenêtre. Alors je passe mes journées à les occuper comme je peux. Je lis des livres, je rêve d’aventure, je fais un peu de peinture, de dessin. Je vais aussi au salon jouer un peu de piano mais très vite l’ennui revient très vite…
En ce 26 mai au soir, je suis sur mon lit en train de lire un roman: Roméo et Juliette. J’aime beaucoup cette histoire et je la relis même si je la connais par cœur. Je suis allongée sur le ventre, vêtue de ma tenue de nuit.
Une dizaine de jours s’étaient écoulés depuis qu’Harmony et moi avions visité le manoir, et terminé la soirée à l’hôpital pour soigner sa jambe. Depuis, je n’avais étrangement plus de nouvelles de mon amie. Rien, pas même un message. C’était bizarre, nous nous écrivions quasiment tous les jours, d’habitude. Ce devait être un coup de ses parents. Alors au bout de trois jours, j’avais arrêté d’insister, de peur d’alimenter leur colère envers les envies d’aventure de leur fille, si jamais ils tombaient sur mes messages. Mais aller jusqu’à la priver de communiquer avec l’extérieur relevait clairement de l’abus. Qui pouvait être aussi inflexible à part des geôliers avec leur prisonnier ? Harmony ne pouvait pas continuer à vivre ainsi. Pourtant, elle rentrait chez elle tous les soirs. Je ne comprenais pas. Se plaisait-elle finalement dans cette situation ? Qu’est-ce qui l’empêchait de fuir, faire sa vie ailleurs ? Elle avait un travail donc de l’argent. Elle avait sûrement de quoi se louer un petit logement, et devenir indépendante. Tous ces questionnements m’énervaient autant qu’ils m’inquiétaient. Depuis que je l’avais rencontrée, j’aimais beaucoup passer du temps avec l’ange. C’était un peu comme quand je me trouvais en compagnie d’Azalja ou Ashley. Je pouvais parler de tout sans gêne, je me sentais à l’aise, de bonne humeur, et j’avais envie de partager un tas de choses amusantes. Avec elle, j’oubliais les tracas du quotidien et l’Ordre qui était constamment sur mon dos pour surveiller l’éducation de Janna. Azalja était très occupée avec la meute. Ashley gérait tous ses frères et sœurs depuis qu’elle en avait obtenu la responsabilité. J’aimais beaucoup Freja aussi mais nous ne partagions pas autant de choses, et son métier de violoniste la faisait voyager partout, elle n’était plus très souvent à Los Angeles. Schneider, lui, avait ouvert son garage et croulait sous le travail, quand il n’allait pas aux arènes sur ordre de la police pour jouer les agents double… Maintenant que je trouvais quelqu’un avec qui je pouvais passer du temps, il fallait qu’elle ait des parents possessifs.
- Je suis maudit ou quoi ?marmonnai-je tout seul, alors que je m’arrêtais devant le lycée pour récupérer Janna.
Ma fille ne tarda pas à arriver.
- Salut P’pa !fit-elle joyeusement.
Elle fronça les sourcils en me regardant.
- T’as l’air contrarié, le boulot s’est mal passé ?
Je chassai mes sombres pensées et lui souris.
- Non non, tout va bien,assurai-je.Je crois que j’ai besoin d’un remontant. On va se boire un bubble tea ? - Oh oui !s’exclama-t-elle contente.
Plus tard, à la terrasse du bar, je regardai Janna faire ses devoirs tandis que nous sirotions nos boissons. Les bras croisés sur la table, je me mis à sourire en la voyant tapoter sa lèvre inférieure avec la gomme de son crayon, plongée dans ses réflexions.
- Was* ?s’enquit-elle en le remarquant.
Je libérai une main pour aller ébouriffer ses cheveux.
- Tu me fais penser à ta mère, c’est marrant. Elle faisait toujours ce geste quand elle réfléchissait pendant ses devoirs.
Elle se recoiffa en souriant à son tour. Elle sembla hésiter entre l’envie de continuer ses calculs ou poursuivre la discussion. Finalement, elle posa son crayon et se tourna vers moi.
- Elle était étudiante en médecine quand vous vous êtes connus, c’est ça ?
J’acquiesçai.
- Comment elle était ? Je veux dire… elle était bonne élève ? - La meilleure de sa promo,renchéris-je.C’était une bosseuse, comme toi.
Son visage s’illumina. Mais un voile d’anxiété passa soudain dans ses yeux. Je lui accordai un regard interrogateur.
- Est-ce que… Est-ce que tu crois que Maman m’en voudra si je ne veux plus devenir infirmière ?
Je haussai les sourcils, surpris.
- Pourquoi t’en voudrait-elle ? Tu fais ce que tu veux.
Je posai ma main sur sa tête, sans la décoiffer cette fois.
- C’est ton avenir, Schatz*. Peu importe ce que tu choisis de faire, elle sera toujours fière de toi. Et moi aussi.
Apparemment rassurée, elle savoura une grande gorgée de bubble tea. Je trouvais surprenant qu’elle me pose des questions sur Mary. En vérité, Janna ne me demandait pas grand-chose à propos d’elle. Le fait qu’elle le fasse aujourd’hui me perturba un peu, et j’eus un pincement au cœur.
- Elle te manque ?demandai-je en croisant de nouveau les bras sur la table.
Elle mit du temps à répondre.
- Un peu… En fait, j’ai pas trop de souvenirs,avoua-t-elle. - C’est normal, tu étais petite. - Pas tant que ça, je pensais m’en rappeler mieux.
Elle eut l’air triste.
- Je peux te poser des questions sur elle ? - Jawohl*. Si tu finis ton calcul avant,dis-je en pointant son cahier du bout de l’index.
Elle pouffa de rire, se concentra sur son exercice. Une fois fini, elle me le montra. Tout me semblait correct. Je lui proposai d’aller marcher pour discuter, tout en terminant nos boissons. Elle accepta et mit son sac sur son dos pendant que j’allais régler la note. Nous fîmes une petite balade durant laquelle je fus celui qui parlai le plus. Je racontai à Janna la façon dont Mary et moi nous étions rencontrés. Elle le savait mais voulait réentendre le récit. Je lui appris que j’avais dû me battre pour avoir la confiance de sa grand-mère qui avait peur des surnaturels. Elle les craignait toujours mais me concernant, elle savait qu’on pouvait compter sur moi.
- T’es un gentil loup,commenta ma fille.
Je lui décrivis la façon dont j’avais vu Mary la première fois, et au fil des années. Une jeune femme timide qui laissait parfois exprimer une force de caractère surprenante, autant par ses envies et ses joies que par ses indignations. La douceur de sa voix allait avec celle de sa façon d’être, de ses gestes quotidiens et de ses mots. Son éclat me faisait me sentir plus serein et plus fort, son humour et son côté taquin m’avaient laissé de merveilleux souvenirs. Si Janna tirait davantage de mon côté physiquement, elle ressemblait en tous points à sa mère pour le reste. Le soleil avait presque disparu et le ciel commençait à s’assombrir. Alors nous rentrâmes à la maison et préparâmes le dîner ensemble. Le sourire qui ne quittait pas le visage de Janna en disait long sur son humeur. Notre conversation au sujet de sa mère lui avait fait du bien. Et à moi aussi, je devais l’avouer.
- Elle a été ton unique amour ?
Apparemment, Janna n’en avait pas fini avec ses questions. J’affirmai d’un signe de tête, tout en coupant deux courgettes alignées.
- C’est trop mignon.
Elle me tapota l’épaule du bout de la carotte qu’elle s’apprêtait à éplucher.
- Mais tu ne devrais plus rester tout seul,ajouta-t-elle très sérieuse.Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de quand j’étais petite. Par contre, je me rappelle que tu souriais plus souvent avec Maman.
Ce dont elle ne se souvenait pas, c’était qu’elle m’avait déjà dit ça quelques années auparavant. Et cela m’avait frappé autant qu’aujourd’hui.
- D’ailleurs… tu as des nouvelles d’Harmony ?
Hein ? Ah… Je soupirai avec un sourire gêné, posai le couteau.
- Je vois où tu veux en venir, petite maligne,répondis-je en lui pinçant le nez.
Elle rit.
- Ben quoi ? Elle est pas mal, non ?
Je me reconcentrai sur les légumes en sentant le rouge me monter aux oreilles.
- Oui… mais… - Mais quoi ? - J… j’en sais rien.
Elle plissa les yeux avec un sourire moqueur au coin des lèvres. Je levai les miens au ciel.
- Bon, oui, elle est jolie, super gentille, douce, cool et tout ce que tu veux,fis-je mi-agacé, mi-amusé.C’est juste que… c’est compliqué. - Pourquoi ?
Je haussai les épaules.
- Disons que… je ne suis pas franchement emballé à l’idée de finir en steak tartare. Ses parents,précisai-je.C’est le genre à l’empêcher de faire ce qu’elle veut, et tout organiser pour elle, jusqu’à sa vie « amoureuse ».
Je fis les guillemets avec les doigts sur ce dernier mot.
- Ah ouais… mariage arrangé et tout le bazar ? - Mh…
Elle sembla réfléchir et je me demandai bien pourquoi. Elle voulut savoir si c’était pour cette raison que l’ange ne donnait plus de nouvelles depuis quelques jours. Je lui résumai notre escapade au manoir, omettant volontairement les événements paranormaux auxquels nous avions fait face, pour éviter de l’effrayer.
- Tu devrais aller la voir.
Je la regardai avec des yeux ronds.
- Pour quoi faire ?questionnai-je décontenancé.Si ses parents me voient débarquer, il y a de fortes chances qu’ils me renvoient d’où je viens. En supposant que je ne prenne pas une balle dans la tronche entre deux insultes.
Janna termina d’éplucher sa carotte, et la coupa en rondelles.
- Tu pourrais y aller sans qu’ils te voient. Tu sais, discrètement sous son balcon, en mode Roméo et Juliette.
Je ricanai, elle aussi.
- C’est romantique, non ? Allez, en plus je suis sûre que tu as envie de la voir !
Je repris mon sérieux.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? - Mh… je ne sais pas,répondit-elle d’un ton plein d’ironie.Peut-être le fait que tu regardes ton téléphone toutes les cinq minutes depuis des jours, dans l’espoir qu’elle te réponde enfin.
Une bouffée de chaleur m’envahit la tête. Elle avait raison. Mais c’était surtout parce que je m’inquiétais pour Harmony… non ? Mon silence la fit rire à nouveau. Mais elle jugea bon de ne pas poursuivre la discussion. Du moins, jusqu’à ce que, dès la fin du repas, son regard se fasse insistant tandis que je débarrassais la table. Je cédai.
- Si je reviens avec du plomb dans les fesses, ce sera de ta faute !fis-je en la pointant d’un doigt faussement menaçant.
Elle sautilla sur place, surexcitée.
- Tu vas y aller maintenant ?
Pardon ?
- Maintenant ?répétai-je abasourdi. - Et pourquoi pas ? T’inquiète, je m’enferme, comme d’hab. Et j’irai me coucher tôt. Je serai sage, mon Papa chéri,ajouta-t-elle en venant me faire un câlin, l’air exagérément minaudant.
Je soupirai sans pouvoir m’empêcher de sourire.
- T’es pas croyable…
Et c’est ainsi qu’une heure plus tard, je me retrouvai devant la maison des Blossom, alors que la nuit tombait sur Los Angeles. C’était une grande et belle maison entourée d’un jardin… et d’un haut mur avec un portail tout aussi immense. Il allait falloir grimper. Je reculai pour prendre le plus d’élan possible. Et je courus droit vers le mur. Prenant appui avec mon pied, je me propulsai vers le haut et parvins à attraper le rebord, sur lequel je me hissai en usant de toute la force de mes bras. Une fois en haut, je contemplai la maison. La lumière d’une télévision brillait au rez-de-chaussée. Dans les étages, toutes les fenêtres étaient obscures. Harmony m’avait dit que sa chambre se trouvait au premier. Je devais faire le tour de la maison. Mais d’abord, je sautai en bas du mur, dans le jardin. Sauf que mon pied glissa et je me rétamai de tout mon long dans les buissons. Craignant d’avoir fait trop de bruit, je ne bougeai pas pendant près de cinq longues minutes, au cas où les parents d’Harmony aient entendu quelque chose, et soient venus vérifier à travers la baie vitrée de leur salon. Puis je me relevai en époussetant mes vêtements, grommelant un tas de jurons en allemand. Bon, la chambre d’Harmony. A pas de loup, je contournai la demeure en prenant garde de ne pas passer dans la lumière, et me retrouvai sous une fenêtre éclairée. Je ramassai un caillou, le jetai contre la vitre. Il n’y eut aucun mouvement, je recommençai.
- Sérieusement, qu’est-ce que je fous…murmurai-je en jetant un troisième caillou.C’est n’importe quoi…
______________________ * Was ? Quoi ? * Schatz : Ma chérie * Jawohl : Bien sûr
Une nouvelle journée qui se terminait, une nouvelle nuit qui commençait et pour moi, une routine qui s'installe. Elles me semblent déjà si loin mes escapades avec Meyer. Pendant longtemps, j’étais habituée à fuguer seule; à partir à l’aventure en toute discrétion sans aucune compagnie. Mais depuis ma rencontre avec Meyer ça avait changé. J’avais un ami et des aventures encore plus palpitantes les unes que les autres. Que ce soit notre rencontre dans la forêt, la nuit en camping, les entraînements de boxe, le manoir, déjà tant de choses en très peu de temps. J’ai découvert et j’ai appris. J’aimerais pouvoir le faire encore parce que j’adorais découvrir de nouvelles choses mais aussi parce que ça me permettrait de passer du temps avec lui. Il me manque. Dix jours… Ca peut paraître peu de temps mais c’est si long quand on ne peut pas contacter une personne que l’on apprécie, d’autant plus que l’on se parlait tous les jours, au moins par message… Et là… Je n’avais plus aucun contact avec lui, ça me rendait triste mais je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais même pas tenter d’essayer de récupérer mon téléphone en toute discrétion, avec ma cheville c’est compliqué et puis mes parents l’ont mis sous scellé. A l’heure actuelle je suis impuissante. J’aimerais que quelqu’un puisse me sortir de là… Plongée dans mon livre de Roméo et Juliette, je rêve de romance, je rêve d’amour, je rêve d’aventure…
“Alors qu'il vient de quitter le bal avec ses amis, Roméo leur fausse compagnie et saute le mur du jardin des Capulet pour essayer d'apercevoir Juliette à travers les fenêtres. Par chance, cette dernière sort de sa chambre sur son balcon.”
Le jardin des Capulet. Sous les fenêtres de l'appartement de Juliette. Entre Roméo…
Quelque chose cogne contre ma fenêtre. Je sors la tête de mon livre, regardant vers celle-ci. Qu’est-ce que c’est ? J’ai rêvé ? Non, je suis sûre que le bruit était bien là mais ça ne doit pas avoir d’importance. M’apprêtant à me replonger dans mon livre, ça cogne une deuxième fois. Je me redresse alors, regardant ma fenêtre de plus près. Un troisième… Des cailloux ? J’ouvre la fenêtre, me penchant au-dessus de celle-ci. J'ouvre de grands yeux surpris et mets une main devant ma bouche en voyant Meyer sous ma fenêtre. Puis alors arrive un grand sourire sur mes lèvres, je suis tellement heureuse de le voir là. Je m’adresse à lui en chuchotant un peu fort pour être sûre qu’il puisse m’entendre.
Mais tu es fou, s’ils te voient ils vont te tuer !
Je regarde autour de moi réfléchissant. Le mieux c’est peut-être qu’il grimpe ? Je ne sais pas trop. Mais là dehors, si mes parents le voient, ce n’est pas le mieux.
Tu… Peux grimper ?
Je suppose que oui s’il a réussi à arriver jusque là…
Je me sentais un peu désespéré. Qui faisait encore ça, de nos jours ? Et même, qui faisait ça tout court, à part dans les films ? Pourtant, mon cœur fit un bond quand la fenêtre s’ouvrit et qu’Harmony apparut à la fenêtre. Ses longs cheveux de feu voletèrent un instant autour de son visage pâle qui exprimait une réelle surprise. Puis un sourire s’étira sur ses lèvres et elle se pencha un peu plus.
- Mais tu es fou, s’ils te voient, ils vont te tuer !chuchota-t-elle à la fois hilare et affolée.
Je me contentai d’un haussement d’épaules sans pouvoir m’empêcher de sourire à mon tour. Je prenais un risque, oui. Cependant, j’étais si content de la revoir que je remerciai intérieurement Janna pour cette folle idée.
- Tu… peux grimper ?demanda la rouquine en scrutant les alentours, à la recherche de quelque chose qui pouvait m’aider à venir jusqu’à elle.
Je hochai la tête. L’état de sa jambe ne lui permettant pas de descendre, c’était à moi d’entreprendre une ascension. Mais avec quoi ? J’avais pu passer le mur mais il était un peu moins haut que le bord de cette fenêtre. Je réfléchis, ne trouvai qu’une seule solution.
- Donne-moi une minute, et écarte-toi de la fenêtre,dis-je à voix basse.
Elle s’exécuta. J’allai me cacher dans l’angle de la maison, et me déshabillai. Si jamais ses parents avaient l’idée de faire une balade nocturne dans le jardin et qu’ils me voyaient à poils sous la fenêtre de leur fille, j’étais bon pour finir découpé en morceaux… Je roulai mes vêtements en boule et les posai par terre. Ensuite, je me transformai. Quelques secondes de douleur plus tard, je retournai face à la fenêtre – mes habits dans la gueule – et reculai le plus loin possible. En théorie, je passais largement dans l’encadrement. C’était une grande fenêtre. Je pris une profonde inspiration, et m’élançai. A une dizaine de mètres de l’ouverture, je bondis et atterris à l’intérieur de la chambre. Harmony retint une exclamation et trébucha en arrière. Heureusement, elle se retrouva assise au bout de son lit. Avant de faire quoi que ce soit, je tendis l’oreille. En bas, la télévision fonctionnait toujours et personne ne bougeait. Alors je regardai l’ange. Et je remerciai le ciel d’être sous forme lupine car j’eus l’impression d’avoir passé la tête au four en remarquant sa tenue. Elle portait une jolie nuisette en soie bleu clair dont les pans effleuraient le haut de ses cuisses nues, et le décolleté très plongeant se terminait par une bande horizontale de dentelles transparentes. Ses épaules et ses bras étaient couverts par une espèce de petit gilet assorti, avec le bout des manches larges. Absolument perturbé, je restai figé un moment à la regarder. Puis je secouai la tête et posai mon tas de vêtements devant elle, lui faisant ainsi comprendre que j’allais reprendre forme humaine pour me rhabiller. Elle comprit et se retourna. Nouvelle transformation. Je me vêtis en vitesse.
- Désolé, j’arrive à l’improviste,chuchotai-je en boutonnant mon pantalon.Je… m’inquiétais.
J’attrapai mon tee-shirt et l’enfilai. J’évitai de trop la dévisager, mais ne pus m’empêcher de désigner sa nuisette d’un geste du menton, avec un demi sourire gêné.
Meyer… A chaque fois que je le voyais, il trouvait le moyen de me surprendre. Et pour le coup, aujourd’hui il avait fait quelque chose que je considérais comme énorme. Il a bravé mes parents, il a escaladé la clôture et il est venu jusqu’à ma fenêtre alors qu’il n’a eu aucun signe de vie de ma part. Mais au lieu de laisser tomber, il est là sous ma fenêtre. Je sentais mon coeur battre un peu plus fort dans ma poitrine. C’était vraiment une agréable surprise. Je ne sais pas s’il se rend compte à quel point c’est grandiose ce qu’il fait là. Son sourire… J’aimais vraiment beaucoup ce sourire qu’il avait. Je désirais le voir de plus près. Je lui avais demandé s’il pouvait grimper. Je réfléchis mais il trouve une idée plus vite que moi. Il me dit de m'écarter de la fenêtre. Je le fais, me mettant sur les genoux sur vers le pied de mon lit et j’attends, me demandant ce qu’il mijotait… Soudain, un lycan surgit. Sur le coup je sursaute et je tombe en arrière sur les fesses, les jambes repliées devant moi. Me voila assise aux pieds de mon lit. Je comprends à la vu de ses vêtements qu’il va se transformer et qu’il est complètement nu. Je deviens toute rouge et je me retourne rapidement, dans attendre, le laissant ainsi reprendre forme humaine et se rhabille. Lorsqu’il s’adresse à moi, je me dis que c’est le signal pour me dire que je peux me retourner. C’est ce que je fis et je tombai nez à nez avec son torse nu. Je rougis un peu plus encore. J’en ai déjà vu des hommes torse nu à la piscine, au surf mais avec lui ça avait toujours son petit effet. Reprends tes esprits Harmony, il vient de s’excuser de passer à l’improviste et en plus il s’inquiétait. Je lui réponds tandis qu’il finit de s’habiller.
Excuse-moi… Je me suis fait… Confisqué mon téléphone…
Dis-je un peu gênée. C’est ridicule ce genre de chose à mon âge et pourtant bien réel… C’est alors qu’il me dit que c’est très joli… Je le regarde interloqué ? Puis je me regarde. Oh mais c’est vrai, je suis en nuisette ! Je deviens définitivement rouge écarlate et je prends les deux bords de mon peignoir que je referme comme pour me cacher.
Pardon ! je ne suis pas du tout en tenue pour l'accueillir ! Je… Je ne suis pas présentable du tout !
Je détourne le regard, gênée. Allez Harmony, répond quelque chose, ne reste pas comme ça…
Oh et puis zut, c’est toi qui vient à cette heure-ci !
Je lui tire la langue, affichant une mine boudeuse. Celle-ci disparu rapidement pour laisser place à un sourire. Je viens vers Meyer, passant mes bras au-dessus de son coup pour l’enlacer gentiment.
Que je suis méchante. Après tous tes efforts, je te gronde. Merci d’être venu, tu n’as pas idée à quel point ça me rend heureuse…
Elle s’excusa sur le fait que ses parents lui avaient confisqué son téléphone. Puis elle réalisa ce que je venais de dire. Baissant les yeux sur sa nuisette, elle rougit comme une pivoine et attrapa les deux pans de son gilet pour cacher son décolleté.
- Pardon ! Je ne suis pas du tout en tenue pour t'accueillir ! Je… Je ne suis pas présentable du tout !
Pas présentable… De mon point de vue, c’était très présentable.
- Oh et puis zut, c’est toi qui viens à cette heure-ci !reprit-elle d’un ton réprobateur.
Je ricanai tandis qu’elle descendait de son lit.
- C’est de ma faute, j’aurais pu…
Mais je m’interrompis quand elle vint m’enlacer. De toute façon, qu'aurais-je pu faire ? Elle n'avait plus de téléphone, je n'avais aucun moyen de la prévenir de mon arrivée.
- Que je suis méchante,souffla-t-elle avec un petit rire coupable.Après tous tes efforts, je te gronde. Merci d’être venu, tu n’as pas idée à quel point ça me rend heureuse…
Je passai mes mains dans son dos pour la serrer doucement dans mes bras. Je n’en voulais définitivement plus à ma fille de m’avoir poussé à venir ici. Apparemment, Harmony m’avait manqué plus que je le croyais, jusqu’à son parfum… ou l’odeur naturelle de sa peau, je ne savais pas. La même effluve douce, à la fois florale et sucrée, qui m’avait perturbé lorsque nous avions campé ensemble le mois dernier. Elle me troublait tout autant ce soir, voire peut-être plus parce que l’ange était contre moi. D’ailleurs, ce contact me fit tellement de bien que nous restâmes ainsi un long moment, dans le silence le plus complet. Je m’écartai enfin, un peu à contrecœur, afin de mieux l’observer. Elle semblait fatiguée, ou peut-être était-ce de l’ennui. En même temps, je comprenais son état. Si je devais rester enfermé dans cette maison sans avoir la possibilité de me déplacer à mon aise, j’aurais pété un plomb depuis longtemps. A ce propos, je baissai les yeux sur sa jambe entourée de son attelle.
- Comment tu te sens ?demandai-je.
Je pris sa main et l’amenai près de son lit pour qu’elle s’assoit au bord du matelas. Elle me laissa un peu de place, et je m’installai à ses côtés.
Dans les bras de Meyer, je me sens terriblement bien Cette chaleur, cette présence, son odeur… Tout, tout m'avait manqué. J’étais très seule depuis ces quelques jours mais surtout sans aucun contact avec Meyer que j’apprécie énormément. J’avais l’impression d’être au milieu d’un joli rêve où les murs de ma prison dorée avaient été traversés. Mon enfermement était devenu soudain plus supportable par sa seule présence. Je ne sais combien de temps je reste dans ses bras mais je n’ai aucune envie d’en partir. Je ferme les yeux quelques instants, la tête posée contre son torse. Malheureusement, vint le moment de s’éloigner et c’est à regret qu’une grande partie de notre contact fut rompu. L’un face à l’autre, il me demande comment je me sens. Mes yeux se posent quelques secondes sur ma cheville. Il me prend alors par la main, me menant à mon lit sur lequel je m’assois tout en lui laissant une place. J’affiche un petit sourire sur mes lèvres.
Eh bien je suppose que ça va. Ma cheville se rétablit doucement. Normalement, dans quelques jours je devrais pouvoir reprendre le travail et donc sortir d’ici.
Je soupire, soulagée à l’idée de quitter ces murs. J’ai hâte. J’ai dû mal à rester en place mais entre la punition de mes parents et ma cheville qui doit se rétablir, c’est difficile de faire autrement.
J’ai hâte. Le temps commence à devenir long, seule entre ces murs. Enfin… Avec mes parents mais c’est pas pareil… Et puis niveau occupation j’ai vite fait le tour.Les livres, le piano puis un peu de peinture puis de nouveau quelques lectures, ça devient vite redondant. Le temps est plus sympa avec toi.
Dis-je alors en rigolant légèrement. Clairement, il venait d’égayer ma journée. Je ne sais pas combien de temps il va rester mais chaque minute était précieuse.
Et toi ? Tu vas bien ? Et Janna ? Vivement que ce soit fini, tu n’as pas idée à quel point !
- Eh bien je suppose que ça va,répondit-elle, souriante.Ma cheville se rétablit doucement. Normalement, dans quelques jours, je devrais pouvoir reprendre le travail et donc sortir d’ici.
Elle poussa un soupir de soulagement.
- J’ai hâte,reprit-elle.Le temps commence à devenir long, seule entre ces murs.
Ses mots en disaient long sur ce qu’elle ressentait à l’égard de ses parents. Même sous leur propre toit et en leur compagnie, la solitude la rongeait. Elle raconta qu’elle parvenait à s’occuper mais que plus le temps passait, plus ses activités devenaient redondantes.
- Le temps est plus sympa avec toi.
Elle rit, demanda si Janna et moi allions bien. Je répondis par l’affirmative, songeant que ma fille devait être en train de lire un livre ou regarder une série.
- Vivement que ce soit fini, tu n’as pas idée à quel point !
J’ouvris la bouche mais ne trouvai pas les mots. A vrai dire, non, je n’avais pas idée. Parce que… A quoi pensait-elle quand elle disait « que ce soit fini » ? Que quoi soit fini ? Sa vie d’enfermement ? Mais comment ? A cette pensée, je me sentis déprimé. Je ne pensais pas que la situation d’Harmony m’affecterait autant. Lorsqu’elle m’en avait informé le jour de notre rencontre, je m’étais dit que ses parents ne devaient pas être si terribles, qu’elle avait encore de la chance de bénéficier d’un toit et de pouvoir quand même sortir pour aller travailler. Toutefois, mon jugement envers eux avait largement changé depuis que je les avais croisés à l’hôpital. Et je n’arrivais pas à cautionner leur attitude envers leur fille. En tant que père, je ne m’imaginais en aucun cas faire subir ça à Janna. Quel était leur but, exactement ? Quel était l’intérêt de couver abusivement son enfant, tout en étant cruel envers lui ? Je me rappelais encore de la gifle injustifiée que Madame Blossom avait donné à Harmony à l’hôpital. Je frissonnais de colère à chaque fois que cette image me revenait en tête. Je ne comprenais pas pourquoi l’ange n’était pas encore partie. Elle semblait toujours très heureuse de me retrouver, de passer du temps dehors. Quand elle devait rentrer chez elle, son visage se fermait et elle avait l’air sur le point de fondre en larmes. Toujours, sans exception. Alors pourquoi ? « Ils accepteront que je parte lorsqu'ils auront trouvé un ange qui me correspond, » m’avait-elle dit. Je n’y croyais pas du tout. Elle partirait oui, mais ses parents seraient constamment sur son dos, mariée ou non, pour continuer à contrôler sa vie. « Et puis en y pensant, est-ce que je serai apte à vivre seule alors que j'ai vécu des années comme enfermée ? Finalement, je connais encore trop peu de choses de ce monde. » A cause de qui ? Elle devait se sortir de là.
- Harmony…commençai-je en appuyant les avant-bras sur mes genoux pour joindre les mains dans un geste nerveux.
Je savais que ça n’allait pas lui plaire. Lors de notre soirée camping, elle avait réussi à éviter le sujet. Mais ce soir, il fallait que je le remette sur la table. J’avais besoin de savoir ce qu’elle voulait.
- Qu’est-ce qui te fait croire que ta vie actuelle chez tes parents va vraiment se terminer ?
Je regardais devant moi, quelque part entre les pieds de sa chaise de bureau et le tapis moelleux qui recouvrait une partie du sol. Même sans la voir, je sentis la demoiselle se tendre.
En compagnie de Meyer, j'oublie ces derniers jours ennuyeux et tristes. Je lui évoquais le fait que j'avais hâte que mes jours de convalescence et d'arrêt de travail soient finis. J'avais hâte de reprendre ma petite vie, de ne plus être enfermée chez moi. Mais malheureusement, l'atmosphère changea. Alors qu'il y a quelques instants nous étions dans les bras l'un de l'autre, content de nous retrouver, je sens Meyer devenir sombre. Harmony... à l'évocation de mon prénom avec son ton de voix je relève le regard vers lui, me demandant ce qu'il va me dire mais quelque chose me dit qu'il va entreprendre une conversation houleuse. Je sens que le sujet qu'il va mettre sur le tas va me mettre mal à l'aise. Bien vu... Qu'est-ce qui me fait croire que cette vie avec mes parents va vraiment se terminer ? Ce genre de question me tend légèrement. J'entre ouvre mes lèvres voulant répondre mais rien. Je les referme. Il me demande ensuite pourquoi je n'y mets pas un terme moi-même ? Aie... Contrairement au camping, je ne peux pas éviter la conversation, je sens qu'il ne me laissera pas fuir cette fois. C'est sûrement dû au fait qu'il a rencontré mes parents à l'hôpital et.. que ça ne s'est pas très bien passé entre eux et moi... je me mords la lèvre inférieure, regardant entre mes pieds.
Eh bien ils ont la main mise sur moi tant que je suis sous leur toit mais lorsque j'aurais rencontré la bonne... Mon regard se pose furtivement sur Meyer. Un ange... c'est ça qu'ils veulent mais si ce n'est pas le cas ? Je préfère ne pas continuer ce que j'étais en train de dire, préférant rebondir à sa deuxième question. C'est délicat, comment le pourrais-je ? Où irais-je ? Serais-je capable de vivre seule ? Je lui ai déjà évoqué mes inquiétudes à ce sujet. Et puis... Mes parents, ce sont eux qui m'ont donné la vie... Je me mords de nouveau la lèvre inférieure.
Où pourrais-je aller ? Seule ? Et... et si je ne suis pas capable de vivre seule ? Et puis... c'est eux qui m'ont mis au monde. Je leur dois la vie, ils ont fait de leur mieux pour assurer ma protection. Peut-être maladroitement mais... Enfin... C'est délicat, sans eux, je ne serais pas là...
J'affiche un sourire, essayant d'être convaincante. Je ne suis pas sûre de l'être... j'essaye de me convaincre aussi...
Comme je m’y attendais, Harmony ne répondit pas tout de suite et je ressentis son malaise. Je la regardai. Elle se mordait la lèvre inférieure, l’air de ne pas savoir quoi dire. Mais je patientai, en silence, jusqu’à ce qu’elle se décide.
- Eh bien, ils ont la mainmise sur moi tant que je suis sous leur toit, mais lorsque j'aurai rencontré la bonne…
Elle s’interrompit et son regard croisa le mien. Je ne sus déceler si c’était de la crainte ou autre chose. Mais je savais ce qu’elle avait voulu dire. Rencontrer la bonne personne aux yeux de ses parents, mais pas nécessairement aux siens. Et je doutais fort de l’approbation de Monsieur et Madame Blossom vis-à-vis du choix d’Harmony, peu importait la nature de son compagnon. Je ne les connaissais pas, mais assez pour juger que leur côté exigeant et dominateur noierait le moindre désir de leur fille, même s’il allait dans leur sens. Un ange, oui. Mais un ange choisi par leurs soins, peut-être manipulé en amont dans le but de maintenir une emprise permanente sur Harmony à travers lui. Si j’avais raison, c’était tout simplement honteux, révoltant. Mais ce qui l’était tout autant, ce furent les paroles que prononça mon amie par la suite.
- Où pourrais-je aller ? Seule ? Et... et si je ne suis pas capable de vivre seule ? Et puis… ce sont eux qui m'ont mise au monde. Je leur dois la vie, ils ont fait de leur mieux pour assurer ma protection. Peut-être maladroitement mais… Enfin… C'est délicat, sans eux, je ne serais pas là…
Je fis tout pour garder mon calme mais ne pus m’empêcher de répondre d’un ton tranchant.
- Un argument imparable pour t’embobiner, te faire culpabiliser et te retenir. Tu leur dois la vie, mais quelle vie ? Cette vie ?
Je fis un large geste de la main pour désigner l’ensemble de sa chambre, cette pièce qui lui servait de cellule dans la prison qu’était cette maison.
- Une vie dans laquelle tu passes ton temps à angoisser parce que tu ne rentres pas à l’heure, à planifier des fugues qui te donnent juste un instant de liberté ? A te faire engueuler pour des conneries comme une gamine, alors que tu as presque trente ans ?
Je n’attendis pas spécialement de réponse de sa part et poursuivis.
- Ce n’est pas une vie. Les parents sont sensés laisser leurs enfants voler de leurs propres ailes, pas les emprisonner. Tu m’imagines faire ça à Janna ? De quoi aurai-je l’air, à part d’un parfait salaud égoïste et cruel ?
Je venais indirectement d’insulter ses parents. Cependant, j’étais trop énervé pour m’en excuser. Et quand bien même, je trouvais difficile de le faire compte tenu de leur comportement envers elle. Je pivotai un peu plus vers la jeune femme et posai ma main sur le côté de son épaule pour la forcer à me regarder.
- Réponds-moi franchement, Harmony. Est-ce que tu as vraiment envie de quitter cette vie ?
La question était dure mais fondamentale. Cela faisait deux mois que je la fréquentais. En deux mois, elle m’avait largement montré à quel point sa situation devenait insupportable. Pourtant, cela continuait. Alors je voulais savoir. Savoir si, finalement, à travers toute cette quête de liberté, elle avait assez de volonté pour réellement prendre sa vie en main.
Nos retrouvailles chaleureuses prirent une autre tournure et devinrent glaciales. La tendresse dont chacun avait fait preuve envers l’autre était terminée. Le soleil devint pluie, le jour devint nuit, je savais qu’en répondant à Meyer, nous allions nous positionner sur une pente glissante. Mes arguments furent réduits à néants par Meyer. La vie qu’ils m’ont donnée… Cette chambre, comme il le montre si bien… Je ne répondis rien mais je savais déjà ce qu’il pensait. Pitié Meyer, arrête-toi là… Mais non, il en rajoute une couche en évoquant mes fugues, mes angoisses, me rappelant mon âge. Aïe… Je me mords une nouvelle fois la lèvre inférieure, évitant son regard. Tout ce qu’il dit, ça fait mal mais c’est la triste réalité. Celle dont j’ai conscience mais que j’accepte malgré moi… Une dernière couche de la part de Meyer… Il est père lui aussi, il sait ce que c’est que d’élever des enfants… Il a fini par élever seul sa fille et elle a l’air si heureuse et épanouie et moi… Je suis là, toujours dans cette chambre… Je sers anxieusement mes draps entre mes doigts. Meyer pose sa main sur mon épaule tout en me demandant si j’ai vraiment envie de quitter cette vie. Qui ne le voudrait pas ? C’est un regard rempli de larmes que je relève vers lui.
Bien sûr que j’ai envie de quitter tout ça ! Bien sûr que j’ai envie de voler de mes propres ailes ! Tu crois que ça m’amuse de passer mon temps à me prendre la tête avec mes parents ? De rester cloîtrer dans ma chambre à espérer que les choses iront mieux le lendemain ? A relire les mêmes livres, à peindre les mêmes toiles, à jouer les mêmes musiques en semblant d’occupation. Eh bien non ! Mais la vérité c’est que c’est tout ce que j’ai connu depuis que je suis née et que même si j’ai pu découvrir le monde extérieur, celui-ci m’est encore trop inconnu… Je vais m’y faire bouffer…
Je soupire. Il ose encore me poser la question… Je pensais qu’il avait compris cette souffrance et mes craintes mais finalement non. Je me lève, le regardant dans les yeux.
Mais je pensais que tu l’avais compris… Tu sais… Je pensais que j’étais une aventurière mais… Je suis juste une peureuse. Mais tu as raison, je dois quitter tout ça.
Finalement, je regarde en direction de la forêt. Je prends mon élan malgré la douleur à la cheville qui me fait grimacer. Un acte totalement irréfléchi que de se propulser jusqu’à la fenêtre et sauter. Je déploie mes ailes et prends mon envol pour rejoindre la forêt, celle où je m’étais perdue le jour de ma rencontre avec Meyer. Je vole une vingtaine de minutes avant de me poser sur un chemin qui traverse la forêt. Je ferme les yeux en profitant de l’air extérieur et ce petit vent.. Peut-être que partir pieds nus et en nuisette avec juste un peignoir de soie n’était peut-être pas une bonne idée mais c’était fait. Je finis de sécher mes larmes. Maintenant, il faut que je me calme…
- Bien sûr que j’ai envie de quitter tout ça !répliqua-t-elle d’une voix tremblante.Bien sûr que j’ai envie de voler de mes propres ailes ! Tu crois que ça m’amuse de passer mon temps à me prendre la tête avec mes parents ? De rester cloîtrée dans ma chambre à espérer que les choses iront mieux le lendemain ? A relire les mêmes livres, à peindre les mêmes toiles, à jouer les mêmes musiques en semblant d’occupation ? Eh bien non !
Au début, elle chuchotait comme depuis le début de notre conversation, pour ne pas alerter ses parents qui regardaient toujours la télévision au rez-de-chaussée. Mais plus elle parlait, plus sa voix montait dans les aigus et se faisait moins discrète.
- Mais la vérité, c’est que c’est tout ce que j’ai connu depuis que je suis née et que même si j’ai pu découvrir le monde extérieur, celui-ci m’est encore trop inconnu… Je vais m’y faire bouffer…
Elle soupira, se mit debout et se tourna vers moi, le regard rempli de tristesse et de reproche.
- Mais je pensais que tu l’avais compris… Tu sais… Je pensais que j’étais une aventurière mais… Je suis juste une peureuse. Mais tu as raison, je dois quitter tout ça.
Sur ces dernières paroles, avant même que j’aies le temps de dire ou faire quoi que ce soit, elle se plaça face à la fenêtre, recula de deux pas, et s’élança en avant. Malgré la douleur de sa jambe, elle prit appui sur le rebord et se jeta dans le vide.
- Harmo…commençai-je en me levant d’un bond, le bras tendu vers elle.
Ses ailes se déployèrent et l’ange s’éloigna dans la nuit noire. La fin de son prénom se perdit et je refermai la bouche, abasourdi par ce qu’il venait de se passer. C’était la dernière réaction à laquelle je m’attendais. J’aurais pu rester planté là à chercher mille raisons pour lesquelles elle avait soudainement fui. Mais un bruit au salon me sortit de mes pensées, et j’entendis des pas monter les escaliers.
- Harmony ?appela sa mère d’une voix plus exaspérée qu’inquiète.Que se passe-t-il ?
Je devais partir. Tout de suite ! Sans trop réfléchir à ce que je faisais, j’attrapai la veste qui reposait sur le dossier d’une chaise et sautai par la fenêtre à mon tour. J’atterris en bas, calculant ma chute pour ne pas me faire mal. Et je filai jusqu’à l’angle de la maison qui était plongé dans l'obscurité. Sans prendre le temps de savoir comment allait réagir Madame Blossom en réalisant que sa fille avait encore fugué, je repérai un arbre planté près du mur d’enceinte, et me servis de ses branches pour grimper et passer de l’autre côté. Et je courus jusqu’au bout de la rue, les yeux levés vers le ciel sans lune dans l’espoir d’apercevoir la rouquine. Mais je ne la vis nulle part et ne sentis pas non plus son odeur. Je m’arrêtai.
- Scheiße*…maugréai-je essoufflé.
Qu’est-ce qui lui avait pris de partir comme ça ? Où avait-elle bien pu aller ? Je ne pouvais pas la laisser dehors et rentrer chez moi maintenant. Je devais la retrouver. La nuit était fraîche, elle était en petite tenue. Et en plus de cela, je savais qu’elle ne pouvait pas voler très longtemps. Alors avec sa jambe blessée, elle ne pourrait plus se déplacer pour se mettre à l’abri. J’allai à la voiture que j’avais garée un peu plus loin. Et je pris la direction de l’Angeles National Forest. J’ignorais pourquoi l’endroit sonnait comme une évidence mais j’étais quasiment persuadé qu’Harmony avait pris cette direction. Déjà parce que sa fenêtre donnait vers l’Est et j’imaginais que, dans sa fuite, elle était allée tout droit pour s’éloigner le plus loin possible. Mais c’était surtout parce que c’était le lieu où je l’avais rencontrée pour la première fois. Arrivé sur le parking, je descendis de la voiture et me dirigeai vers la lisière de la forêt. Comment retrouver l’ange dans une telle étendue d’arbres et de roche ? C’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Me cachant au milieu de gros buissons, je me déshabillai et me transformai pour la deuxième fois de la soirée. J’aurais plus de chance de la pister sous forme lupine, et j’irais également plus vite. Mes vêtements dans la gueule, je m’élançai vers les profondeurs de la forêt. Je courus près d’une demi heure sans m’arrêter, toujours tout droit. J’étais en train de perdre espoir quand je le sentis enfin : son parfum qui me perturbait tant. Je repris forme humaine, me rhabillai.
- Harmony !
Ma voix résonna dans le silence de la nature. Je tendis l’oreille. Rien. Elle devait être proche, je n’allais pas tarder à tomber sur elle. Mes yeux prirent une teinte dorée quand j’activai ma nyctalopie. Et j’avançai d’un pas. Tout se passa très vite. Mon pied entra en contact avec un fil de pêche tendu à l’horizontale. Dans la seconde qui suivit, un sifflement retentit et je vis la lame brillante d’un couteau filer droit sur moi. Je ne fus pas assez rapide et elle se planta dans mon épaule, sous la clavicule gauche, près de l’endroit où le père de Sofia m’avait tiré dessus quelques années auparavant. Je grognai de douleur, retirai le couteau que je jetai par terre d’un geste rageur. Je me rappelais du piège à dents dans lequel Ashley était tombée lors de notre rencontre. Visiblement, les chasseurs de lycans sévissaient toujours dans cette forêt, et ils usaient de moyens beaucoup plus sournois désormais. Et je venais de me faire avoir. Heureusement, j’avais évité le coup au cœur en me décalant un peu. Mais ça faisait un mal de chien ! J’allais repartir à la recherche d’Harmony quand il y eut un déclic. Un déclic qui ressemblait fortement à celui d’une arme qu’on chargeait. L’enfoiré était là, tapis dans les buissons, prêt à m’abattre. Je déguerpis en vitesse, juste avant qu’un coup de feu retentisse. Je m’enfuis le plus loin possible. Mais au bout d’une cinquantaine de mètre, je réalisai que le chasseur ne me suivait pas. Pas très motivé, celui-là… Mais c’était une chance. Je pouvais me concentrer de nouveau sur Harmony et ma blessure guérirait vite grâce à mes gènes de lycan. Je retrouvai enfin l’ange après une bonne minute de marche. Elle était assise sur une souche d’arbre, les bras croisés sous sa poitrine, tremblante de froid. Elle sursauta quand je m’approchai, regarda autour d’elle, apeurée. La nuit était si noire, et il faisait si sombre sous les arbres qu’elle ne devait rien voir du tout.
- Harmony,dis-je pour qu’elle reconnaisse ma voix.
J’arrivai à sa hauteur, attrapai doucement son poignet.
Tout ce que j'avais gardé en moi au fil de ces années, toutes ces journées enfermée à vouloir sortir et pourtant dès que je le pouvais je finissais par revenir comme une fille trop sage. Tout ceci semblait exploser. La petite fille qui avait besoin d'aventure n'avait pourtant pas assez de courage pour prendre une décision aussi radicale que de tout abandonner. Et pourtant, me voilà dehors maintenant de manière totalement irréfléchi, sans affaire rien, j'avais pris mon envol. De toutes les façons de fuir mon quotidien, j'avais pris la pire. Quelle idée que de fuir sans avoir un endroit où se réfugier légèrement vêtue et dans les mêmes bois où je m'étais perdue quelques mois auparavant. Le ton que j'avais pris avait sûrement alerté mes parents et je pense qu'ils ne me pardonneront pas. Meyer avait réussi à me sortir de mes gonds, à faire sortir ce qui avait besoin de sortir depuis bien trop longtemps. Malheureusement, je ne suis pas sûre que ma réaction soit celle qu'il attendait. Même moi, je n'étais pas sûre de ce que je faisais. Malgré tout me voilà dehors. J'avais fini par me poser sur une souche d'arbre, tremblant de froid et ayant du mal à faire cesser mes larmes. Je sens que j'ai du mal à me calmer, je me sens épuisée par ce vol... Une bêtise de plus de ma part. J'inspire et expire profondément. Je sursaute en entendant mon prénom mais je sais à qui appartient cette voix. Meyer. Il attrape mon poignet et je me lève d'un bon.
La...lache-moi !
Criais-je confuse entre la peur des réprimandes et la colère. Je dégage mon poignet, mettant mes mains devant mon visage comme pour me protéger d'une potentielle gifle comme l'aurait très bien fait ma mère.
Va-t-en !
Dis-je en donnant des coups de point dans son torse qui faiblissaient peu à peu. Je finis par m'arrêter, mes mains toujours contre son torse, tête baissée et le visage inondé de larmes. J'étais épuisée, désespérée et je devais avoir l'air complètement folle.
Elle se dégagea et eut un mouvement étrange : elle leva ses mains devant son visage crispé de crainte, comme si elle pensait que j’allais la frapper. Avais-je vraiment l’air agressif ? Merde, ce n’était pas ce que je voulais. J’en fus si choqué que je n’eus aucune réaction quand elle vint me frapper le torse avec ses poings. Je les sentais à peine…
- Va-t’en !
M’en aller… Elle frappa encore, pleurant à chaudes larmes. Je ne bougeai pas, attristé par ce qui se déroulait sous mes yeux. J’admettais avoir été dur dans mes propos, mais c’était pour la faire réagir. Au fil des jours, je supportais de moins en moins cette expression anxieuse, cette ombre sinistre qui passait dans ses yeux à chaque fois qu’elle était sur le point de rentrer chez elle. Ça ne pouvait pas continuer. Ce n’était pas chez elle, c’était la prison de ses parents. Bon… Je ne m’attendais pas à ce genre de réaction de sa part. Néanmoins, cette nouvelle situation me fit réaliser une chose : je souhaitais vraiment secourir Harmony. Pas seulement la guider dans l’exploration d’un monde dont elle ignorait presque tout. Je ressentais ce besoin de m’investir davantage, quitte à faire de ses parents mes ennemis, pour la sortir de cet enfer dans lequel ils l’enfermaient depuis trop longtemps. En réalité, je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer Janna à la place d’Harmony, et cela me scandalisait. Quand la rouquine s’épuisa, gardant ses poings fermés contre moi, et baissa la tête pour continuer à pleurer, je me dis que je ne risquais plus d’être frappé. Peut-être était-elle encore en colère contre moi à cause de mes mots offensants mais je ne lui en voulais pas. Au contraire, ce relâchement répondait à ma question, et je pouvais être désormais sûr qu’elle accepterait mon aide. Alors je l’attirai contre moi, faisant preuve d’un maximum de délicatesse pour lui démontrer mon soutien, et l’entourai toute entière avec mes bras, comme s’ils allaient la protéger de tout ce qui pouvait lui nuire. Et je pris enfin la parole.
- On rentre à la maison.
J’avais parlé à voix basse mais je savais qu’elle m’avait entendu. Me rendant compte qu’elle pouvait interpréter la proposition dans le mauvais sens, j’ajoutai :
Desespérée, je l’étais, je n’étais plus sûre de ce que je faisais ni même de ce que je devais faire. Fuir, rentrer parce que je suis partie sur un coup de tête ? Maintenant que je suis sortie, je n’ai plus aucune envie d’y retourner. De plus, à l’heure qu’il est, ma mère a dû remarquer ma disparition et je ne donne pas cher de ma peau pour le moment où je rentrerais. J’étais aussi épuisée par cette explosion d’émotions négatives. Trop d’un coup pour une ange, c’est trop à encaisser et puis cet envol… je ne suis pas encore habituée à voler longtemps alors quand j’essaye d’aller aussi loin que je le peux, je faiblis vite. Immobile face à Meyer, toujours tête baissée, je ne sais plus quoi penser, ni quoi faire. Est-ce que je dois fuir, quelle va être sa réaction face à mon comportement ? Je me suis comportée comme une enfant et pourtant, il est venu me chercher jusqu’au milieu de la forêt en pleine nuit. Il allait sûrement partir vu la façon dont je lui avais parlé. Mais alors pourquoi est-ce qu’il ne part pas ? Il… M’attire contre lui, je suis dans ses bras et c’est comme si toutes mes craintes s’envolaient d’un coup. Je me sens bien… Bien mieux. C’est comme si il me protégeait… Il prit alors la parole. “On rentre à la maison”. Je sursaute. Non… Je ne… “Janna nous attend”. Hein ? Je relève la tête vers Meyer.
On va… Chez toi ? Mais… Tu… Regarde je t’ai envoyé balader et tu veux m’emmener chez toi ? Je… Je suis confuse…
Je suis très gênée de ce qu’il vient de se passer mais surtout je reprends peu à peu mon calme, me rendant compte de comment je l’avais traité…
Je… Je suis désolée pour tout ça… Je suis… Un peu perdue…
Je m’écarte de ses bras, détournant le regard. Je tente alors de m’envoler légèrement, pas très haut pour pouvoir me déplacer mais je m’écrase au sol. Me relevant, je sais déjà que je vais devoir appuyer sur ma cheville et si c’est trop long, ça ne va pas être bon… Peu importe, il le faut bien. Lui tournant le dos, je commence à m’éloigner en boitant. J’ai trop forcé dessus…
Oui, c’était un peu décidé sur un coup de tête. Mais je ne me voyais pas faire autrement. Maintenant que je constatais le réel état dans lequel une émancipation mettait Harmony, je ne pouvais me résoudre à la laisser seule. Et… j’avais un peu de mal à l’admettre, surtout devant Janna qui s’amusait bien à me taquiner sur ce sujet, mais j’appréciais beaucoup Harmony. Sa compagnie me faisait du bien, un bien que je n’avais plus ressenti depuis longtemps. J’avais du mal parce que je savais que ma relation avec elle m’était bénéfique, mais ça m’effrayait tout autant.
- On va… chez toi ?fit Harmony, troublée.
Je baissai les yeux sur elle. Elle ne devait pas y voir grand-chose mais moi, je voyais très bien ses joues baignées de larmes et son regard perdu et chagriné. Chassant mes pensées précédentes de mon esprit, je m’apprêtais à confirmer ses doutes, mais elle reprit.
- Mais… Tu… Regarde, je t’ai envoyé balader et tu veux m’emmener chez toi ? Je… Je suis confuse…
Elle renifla, l’air de ne plus savoir où se mettre.
- Je… Je suis désolée pour tout ça… Je suis… Un peu perdue…
Elle n’avait pas à s’excuser. C’était moi qui l’avais poussée dans ses derniers retranchements. Maintenant, il ne me restait plus qu’à la pousser à aller de l’avant. Pourtant, elle s’écarta de mes bras et me tourna le dos. Ses grandes ailes se déployèrent alors et elle décolla du sol. Non, elle ne devait pas partir ! J’esquissai un geste pour la retenir mais ce ne fut pas nécessaire. A peine eut-elle fait une dizaine de mètres que ses ailes faiblirent et disparurent, et elle retomba au sol. Je me précipitai alors qu’elle se relevait et commençait à s’éloigner en boitillant, promettant d’une petite voix qu’elle allait se faire pardonner. Mon bras passa dans son dos et je posai ma main libre contre son épaule pour la forcer à s’arrêter.
- Tu n’as rien à te faire pardonner,assurai-je.
Je me baissai et l’attrapai sous les genoux avant de la soulever dans mes bras. C’était à moi de la guider dans l’obscurité de la forêt. En plus, elle partait du mauvais côté. Comme j’avais couru sous forme lupine pour la retrouver, le retour à pied serait un peu plus long mais tant pis. J’avais de grandes jambes et un bon cardio. Pas question de faire la moindre pause avant d’arriver à la maison. Une bonne partie du trajet se fit dans le silence le plus complet. De temps en temps, je ralentis un peu le pas, diminuant le son que produisaient mes chaussures sur le sol feuillu pour écouter les environs, vérifier que le danger ne rôdait pas. Heureusement, ce n’était pas une nuit de pleine lune. Mais il fallait tout de même rester prudents. Harmony semblait être trop épuisée pour ouvrir la bouche, ou ne voulait-elle tout simplement pas réengager la conversation, de peur d’envenimer les choses. Je ne voyais pas en quoi, sauf si elle me disait qu’elle voulait rentrer chez elle. Mais j’en doutais fortement. J’enjambais un minuscule cours d’eau quand je pris enfin la parole.
- C’est moi qui te demande pardon.
Une chouette hulula quelque part au loin.
- Je n’ai pas pris ta situation au sérieux… Pas assez. Et j’ai été idiot de penser que tu avais bien assez de liberté pour ne pas m’en soucier tout de suite.
Ou voulais-je croire que ses parents n’étaient pas si mauvais qu’elle le laissait entendre. Maintenant, bien que les ayant vu l’espace de quelques secondes à peine, cela était largement suffisant pour dire qu’il s’agissait de véritables tyrans.
Pardon Meyer, je suis désolée que tu m'ai vu ainsi. J'ai abandonné en une fraction de seconde toute la douceur et la bienveillance que j'avais en moi. Mes sentiments négatifs avaient pris le dessus. A ce point là ça ne m'étais jamais arrivée. Et maintenant, je me sentais toute faible, toute fragile, toute l'adrénaline était redescendue. Je tentais de me mouvoir pour quitter cette forêt mais ce fut un échec. Mes ailes m'avaient abandonnées, ma cheville me faisait mal et Meyer... je n'osais affronter son regard qui pourtant n'avait fait preuve d'aucune animosité. M'éloignant légèrement, je sens sa main se poser sur mon épaule. Je m'arrête. Il me dit que je n'ai rien à me faire pardonner et pourtant je suis sûre que si. Malgré tout, je reste silencieuse. Je m'apprête à reprendre ma marche mais il me souleva, me prenant dans ses bras. Tête baissée, je la pose contre son torse, sentant toute sa chaleur contre ma peau qui n'est pas recouverte par le tissu de la nuisette. Il marche, de mon côté je reste immobile, fermant les yeux. Je n'avais ni la force, ni l'envie de parler. Que pourrais-je bien dire de toute façon ? Le silence est uniquement rompu par les bruits de la nature nous entourant: les feuillages, quelques animaux, un petit cours d'eau. Finalement, c'est Meyer qui le rompt en me disant que c'est lui qui me demande pardon. Je rouvre les yeux et relève la tête vers lui, me demandant ce qui était en train de lui passer par la tête. Il appuie son propos en disant qu'il n'avait pas pris au sérieux ma situation, du moins pas assez... Mais... Il ne pouvait pas savoir. Je me redresse légèrement dans ses bras. Mes lèvres viennent se poser sur sa joue pour y déposer un doux baiser.
Tu ne pouvais pas savoir. Je n'étais qu'une inconnue...
J'affiche un doux sourire avant de me recroqueviller dans ses bras, tête baissée, rougissant légèrement. J'avais hâte qu'on arrive chez lui, ça ne devrait plus tarder. J'ai encore froid, mais moins grâce à la chaleur de son corps.
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